Ton identité s’enfonce dans la
lumière et je caresse l’obscurité.
Henri Falaise
L‘identité
(Brève inédite de Jean Botquin)
Il cherchait son identité.
Ce qui le différenciait des autres. Ce qui faisait qu'il était lui, et pas un autre. Il s'appelait Anselme. Ce nom lui plaisait. Il n'avait jamais rencontré un autre Anselme. Il pensait
qu’il était unique. On ne pouvait donc pas le confondre. C'était rassurant. Néanmoins, il n'était pas sûr que ses parents ne se fussent pas trompés de nom à sa naissance. Autrement dit, il était peut-être le fruit d’une
erreur. Comment savoir s’il existait vraiment.
Quand il était petit, il allait
se baigner dans la rivière avec Théodore, son
cousin. Théodore était circoncis. Il était convaincu qu’il était né comme ça et
fier de montrer son gland tout rose et lisse à Anselme qui était muni d’un capuchon
inutile. « Tu devrais te faire enlever ce bout de peau. C’est laid et ça
ne sert à rien »
Ensemble, ils s'étaient regardés dans le miroir de la chambre des parents, un jour qu'ils étaient seuls. La petite différence mise à part, ils étaient pareils, la peau blonde, les yeux
bleus, les jambes
et les genoux identiques. Ils avaient plus qu'un air de famille. D'ailleurs,
tous les garçons de la classe,
à peu de chose près, étaient faits de la même manière, cela se voyait à l'oeil nu. Plus tard,
quand Anselme commença à
fréquenter les filles, il s'aperçut bien vite qu'elles se ressemblaient toutes, les unes plus grandes ou plus petites, les autres
plus belles ou plus laides.
Elles avaient le même goût et la même odeur, selon
l'heure de la journée. En parlant des
filles, la mère d'Anselme disait souvent: « La nuit tous les
chats sont gris ».
Puisque tout le monde est pareil, que les différences sont vraiment insignifiantes, pourquoi s'en faire ?
Mais lui continuait à s'en
faire, au fil des années, c'était plus fort que lui. Il ne voulait pas être confondu comme le passe-muraille avec le mur qu'il traverse. Il disait: « Suis-je au-delà du point où
l'on se trouve quand on est passé ou sur le point de passer le pas de
son trépas ?» Ou encore: « Les gens
confondent la peau d'âme avec la
peau d'âne... ». Cela ne voulait
strictement rien dire. Personne ne le
comprenait. Pour qui se prenait-il ? De plus, souvent, il se surprenait
à copier les autres, surtout ceux qu'il
aimait ou qu'il redoutait. La façon de
parler, de s'habiller, d'écrire, de
manger, de fumer. Il faisait de grands gestes comme son patron, terminait ses phrases avec un sourire de maître à penser. C'était ridicule et vraiment contradictoire! A défaut d'avoir une identité, il squattait celle des autres ou ce
qu'il croyait en être une, car si les
autres étaient comme lui , il n'avait
pas grand- chose à leur emprunter.
La psychanalyste d'Anselme
ressemblait à sa mère. Elle se taisait beaucoup,
peut-être parce qu'elle n'avait pas grand-chose à dire.
Anselme, lui, parlait sans s'arrêter. Un jour il lui parla du Père et du Fils. Le premier ne reconnaissait plus le second crée pourtant à son image. Anselme se demandait si le second n'avait pas enfin trouvé son identité. Une fois
n'est pas coutume, la psychanalyste soupira profondément
en suggérant une question: « Peut-être
faudrait-il se demander si l'identité n'est pas assimilable à la
similitude ».
Les psychanalystes, quand ils
parlent, n'en disent pas plus que quand ils se taisent.
6 commentaires:
Texte fort intéressant. L'identité, une belle quête...
Oui, et quand la quête est terminée bien souvent l'identité trouvée ou retrouvée se perd dans le néant
Ça, c'est fâcheux, je dois dire. Et ironique. N'y a-t-il pas moyen de faire renaître un décor, plutôt que de laisser le néant prendre place, par l'écriture justement? Un roman, par exemple.
Bien sûr, tout est possible...Votre (ta?) réflexion me fait réfléchir. Cette brève pourrait se développer...
On peut certes se tutoyer, ça ne me gêne guère — si c'est réciproque.
Écrire. Soulever, ériger un monde. Quoi de plus merveilleux? Le talent est pleinement à ta disposition pour ce faire, par ailleurs.
O.K. Va pour le tu Jean
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