jeudi 31 mars 2016

Article paru dans les Carnets et Instants-

Réécrire l’amour
Primaëlle VERTENOEIL
C’est dans la collection « Poésie francophone » des éditions du Cygne que Jean Botquin vient de publier un recueil de poésie intitulé Les quartiers de lune pâle. Un recueil, qui de prime abord, peut surprendre. Quelles en sont les raisons ?
L’une d’entre d’elles est certainement à trouver dans le contraste entre la modernité de sa composition – que l’on doit principalement à l’utilisation du vers libre – et le ton résolument classique du propos. Structurellement, –  et c’est d’ailleurs un vœu du poète lui-même dans son avant-propos – , la poésie est « libre, spontanée et limpide ». Découpé en trois parties (« Gynécée », « Rhapsodies », « Derrière mes verres fumés »), le recueil est écrit en vers libre : « Il disait : / Il me faut te réveiller / Toi / qui dors en moi / la plus belle des endormies / de toutes les aimées / Toi / qui n’est pas sortie / de ta gangue de femme / Toi / que ton ventre / anime / obscurément ». Du point de vue du contenu, Les Quartiers de lune pâle, évoque une thématique des plus traditionnelles : l’amour. L’amour de la femme, évidemment, mais aussi de la vie, de la nature, de la poésie. Sujets certes communs, mais traité ici avec pudeur et tendresse : « En vérité, tu es le soleil / Tu caresses mon corps nu / couché au soleil du milieu de l’été / Ma peau se hâle / sous ta tendresse / Les nuages fuient sous ton regard ».
Au travers de ces quelques pages, une soixantaine tout au plus, se détache la poétique d’un homme qui a certainement beaucoup lu et déjà beaucoup écrit. L’écriture de Jean Botquin, « originaire de Flandre Occidentale », comme aime à nous le rappeler l’éditeur, est le fruit de nombreuses influences, de plus modernes aux plus classiques, mais est aussi le résultat d’une vraie recherche personnelle, nous semble-t-il, dans le choix du mot qui composera chaque partie du vers, du poème, du segment. Chez Botquin, rien n’apparait laissé au hasard. Aussi, si certains poèmes, proches de la comptine par exemple, paraissent légers et somme tout un peu naïfs, les nuances lexicales qu’ils proposent les rendent étrangement modernes. Mais peut-on  vraiment reprocher à un amoureux des mots de trop s’épancher sur ces grandes pages blanches ?
Jean BOTQUINLes Quartiers de lune pâle, éditions du Cygne, 10 €


Article paru dans Francopoli.s


Jean Botquin
Les épousailles des ombres (deux cents haïkus), Éditions du Cygne, 2013
Jean Botquin, auteur  belge, est un écrivain accompli. Roman, nouvelle, essai, poésie… l’ancien banquier a pratiqué tous les genres. Mais son œuvre la plus prolifique et sans doute, la plus aboutie s’accomplit sur le terrain poétique ; et sous une forme qu’il affectionne de prédilection, celle du haïku. 

En quatre ans, quatre recueils parus, d’ailleurs, chez le même éditeur, dont trois composés entièrement de haïkus… les deux derniers étant sortis la même année, en 2013, à distance d’un mois à peine. Pourtant, on lui ferait injustice en le qualifiant « d’haïkuiste  - à la manière de  cruciverbiste ou de sudokiste, ces pratiquants de jeux intellectuels qui servent généralement à tuer le temps », comme le dit lui-même, tout en acceptant d’en prendre le risque. Mais on ne lui rendrait pas justice non plus en le confrontant à l’art extrême d’un haïku-exercice spirituel. Car, comme le dit lui-même également, ses « improbables haïkus » ne se proposent pas de « vouloir respecter toutes ces règles », cela « est impossible car elles tiennent au génie d’une langue orientale, à la philosophie de ceux qui la pratiquent, leur sens religieux, et leur conception de la vie et de la mort. » Exit donc toute référence obstinée aux exigences du genre…
Et après : « D’autre part la langue française a d’autres qualités qu’il convient de ne pas négliger. » Alors, que fait-il, en réalité ?

De la poésie, tout simplement. Une poésie qui a appris à se concentrer, à densifier le sentiment, la perception, la parole, jusqu’à en faire une puissance en soi, toute en suggestion, en évocation multi-sensorielle, en allusion fertile. 
 « Aussi je ne retiens dans l’écriture de textes brefs que ce qui lui donne sa force évocatrice, sa densité, son caractère suggestif et allusif. L’ascèse de l’économie verbale, de la musicalité et de la simplicité conduit, il me semble, à une  extériorisation  riche de ce qu’est notre essence même.»11 

Voilà ce qui nous éclaire complètement sur l’alchimie subtile de ce poète, conscient de son art. Nous le retrouvons dans les séries de « haïkus » de son dernier recueil, qui ne respectent que peu, ou point, les contraintes du genre (à commencer par les fréquentes transgressions du patron des 17 syllabes). Ils sont regroupés à plusieurs, par petits ou plus amples ensembles, sous des titres qui nous ramènent chacun comme à un horizon de contemplation s’ouvrant sur un nouveau panorama, perceptible par traits accumulés et par silences superposés, rappelant les effets d’une peinture pointilliste ou bien ceux de la musique minimaliste ou sérielle.

Ainsi ces « Sept mouvances de sable », qui s’enchevêtrent et se chevauchent comme les vagues de la mer imprimées sur la surface du désert… On perçoit la « Mouvance palpable de l’océan Dont la terre s’abreuve »  notations subtiles et pleines de suggestions comme des croquis pris sur le vif, à différentes heures du jour et de la nuit. 

Ou les « Quatorze instants d’azur sur une île » qui nous offrent un régal d’impressions, de petits gestes de beauté, d’amour solitaire « avec le soleil », de violences poétiquement incorrectes : 
« Je l'extirpe avec
Les dents et me brûle les doigts
Jusqu'au crépuscule
 ».
Cela forme un nuancier de couleurs, de tons, et d’instants d’un temps qui, on dirait, s’incurve
« Passée elle devance
L’instant… »).
Ou encore les « Dix Stances pour une mer intérieure » qui misent sur cette même technique de la notation allusive, ici mise à l’œuvre pour évoquer l’univers intérieur ; la portée symbolique de l’ensemble du poème ne saurait échapper : la première stance donne l’image d’une âme échouée telle : 
« Un voilier surpris
Par le reflux de la mer »
qui « Se couche dans la vase », alors qu’on la retrouve plus loin en proie à un « retour en enfance» comme dans une « baie à marée basse »… 
Encore le temps qui s’incurve dans des mouvements qui ne se recoupent pas :
« Un détour serpente
Sans rencontrer l’improbable
Mystère des attentes »…
Sans doute, la règle d’or de l’autarcie du haïku, fait pour se tenir seul, est abolie, puisqu’on a affaire à un effet global d’accumulation où chaque « haïku » est en fait une strophe comptant plus pour l’ensemble que pour elle-même ; mais comment ne pas se laisser séduire par les touches en crescendo des descentes et montées oniriques des « Vingt variations sur des paysages maritimes» ou des « Huit strophes pour un cimetière en plein ciel », par les notes bucoliques et la grâce naïve des « Treize petites incursions dans une péninsule du Var », ou par les visions sismiques des « Seize regards sur une semaine en enfer » ? 
Le recueil est inégal et à une première lecture, certaines « séries » semblent plus ternes, mais le tout gagne à la relecture, comme si des regards superposés prolongeaient, densifiaient les couleurs, les gestes, les silences.