mardi 31 août 2010

Lissewege et Ter Doest











Dans l'ombre de l'église de Lissewege se blottissent les maisonnettes fleuries, tel un béguinage où les toits se penchent et s'épaulent, où les murs s'entraident. Un béguinage ouvert sur des près bordés de saules têtards, gnomes trapus et bizarres qui se donnent la main par les racines.
Et le soir leurs danses simiesques s'enveloppent de brumes qui très vite recouvrent les prairies humides, brumes montant des canaux, ruisseaux, petits étangs coassant et immobiles.

Des façades pimpantes, blanches, minaudent sous leurs toits rouges. Et au-dessus, la tour massive, donjon menaçant dans son armure, escalade le ciel d'une envolée qui brusquement s'arrête comme si le ciel était trop bas pour encore accueillir la flèche d'un clocher. Dans le sillage de cette figure de proue, dorée comme le sable des dunes flamandes, s'allonge la nef gothique, chant d'orgue polyphonique balancé de baies et d'ogives.

Le vaisseau venant de la mer du nord n'a pas terminé son voyage. S'est-il perdu au milieu du béguinage ou les maisons sont-elles restées accrochées à sa coque ainsi que des coquillages ?















L'abbaye de Ter Doest n'est plus. Seul vestige millénaire, une grange survit comme un vaisseau échoué dans le plat pays, entre Lissewege et Bruges. Je me suis approché humblement pour baiser la brique patinée, la brique de sable piquée de cendre, la brique macérée par des siècles d'histoire. Des lèvres, j'ai goûté la forme des mains qui les ont façonnées, il y a bien longtemps, à l'époque où les granges s'inspiraient des cathédrales pour se dresser au milieu des champs. La grange de Ter Doest porte sur la forêt de ses poutres sa voûte de tuiles qui la préserve des vents de la mer, son toit immense retombant vers la terre comme les pans d'une cape dont on se couvrait jadis les soirs d'hiver. A l'intérieur règne un silence grégorien, entrecoupé de roucoulements, de brefs coups d'ailes claquant dans la pénombre où s'infiltrent entre les tuiles des étincelles de clarté. Les colonnes de chêne se dressent supportant la charpente dont on imagine les craquements sinistres, les nuits de grand vent, comme ceux d'un voilier perdu qui virerait de bord constamment.


Jean Botquin

mardi 24 août 2010

Rencontre avec Willy Grimmonprez auteur de polars et ancien conducteur de bus..





Ci-contre: Londres et ses bus.










Rencontre avec Willy Grimmonprez, auteur de polars.

Willy est un ancien chauffeur de bus du Tec de La Louvière, né en 1946, et prépensionné en 2001. Il est en pleine forme, joue de la guitare, sillonne la région à vélo, s’occupe de ses cinq petits enfants, prépare un nouveau roman pour la fin de l’année, une espèce de psycho-polar.
Né dans un milieu ouvrier, rien ne le destinait à une carrière littéraire, sinon peut-être les histoires que lui racontait son père quand il était petit. Son père était un conteur, Willy le deviendra à son tour, avec ses enfants, puis avec nous.

Peut-on dire qu’une des histoires du père « L’affaire Verdier » est à l’origine de la carrière littéraire de Willy ?
Après la mort de son père, Willy trouve une ébauche, une vingtaine de pages, de l’histoire qu’il avait entendue si souvent dans la bouche de son papa. Un texte encore impubliable, à réécrire totalement. Et c’est ce que Willy va faire, en hommage à son père qui aurait bien voulu être écrivain. Car, dans cette famille, on rêve et on n’a pas peur des mots. Bien entendu, ce n’est pas une sinécure. Il recommencera ce texte plusieurs fois. L’arrangera, s’inspirera du métier de son père, garde de nuit dans une usine, et lui attribuera le rôle de meurtrier d’un médecin, responsable de la mort de sa mère, et que le garde de nuit voudra venger. Un vrai petit polar, avec une intrigue digne de Simenon. La nouvelle reçevra le titre de « Meurtre contre la montre ».

12 ans s’étaient passés depuis la mort du père de Willy pour que la nouvelle voit le jour. C’était en 1994, l’année suivant plusieurs évènements qui ouvrirent, si l’on peut s’exprimer ainsi, les portes de la carrière littéraire de Willy, le chauffeur de bus du Tec de La Louvière. Un peu de suspense, on en reparlera.

« Meurtre contre la montre », dans le recueil éponyme, est accompagné de 4 autres nouvelles.

En humanités , on apprend à écrire des récits, en écrivant des rédactions. C’est aussi fréquemment le travail des ateliers d’écriture qui pousse les apprentis écrivains à participer à des concours de nouvelles.
La véritable nouvelle est un art difficile, on en minimise la difficulté. Le résultat de cette écriture n’est souvent qu’un récit court mal fagoté, sans intrigue, sans suspense, sans chute. On y parle de soi et de ses états d’âme. Pour les dédouaner gentillement, certains parlent de nouvelle nouvelle.

Je pense que Willy Grimmonprez a le sens de la nouvelle, la véritable. Ses nouvelles sont abouties. Où a-t-il appris cela ?

En 1993, un an avant la publication de « Meurtre contre la montre », il obtient le prix de la nouvelle de l’étrange de la communauté Française, avec « La traque », qui paraîtra une première fois dans la Libre Belgique, et plus tard dans son second recueil de nouvelles, en 2001, « Sunny Girl », à côté de « L’œil de la voisine », qui deviendra un roman sous le titre de « Pernicieusement vôtre ». « La Traque » a été également remarquée à un concours de nouvelles policières de la RTBF. Cerise sur le gâteau, ce texte a fait l’objet d’un petit film d’amateurs, récompensé par la ministre Onkelinx, responsable à l’époque de l’audio-visuel.
Bon, pas mal quand même pour un autodidacte chauffeur de bus !

Sauf erreur de ma part, il me semble que le bus a été avant tout le véhicule de son succès et de sa renommée, sa librairie ambulante, plutôt que sa source d’inspiration. Bien qu’il ne soit pas impossible, j’imagine, que certains visages habitués de son bus aient pu le hanter au point de lui suggérer certains de ses personnages.

Posons- nous la question : est-il plus facile de devenir chauffeur de bus quand on a l’âme d’un écrivain que d’apprendre à écrire des romans quand on est chauffeur de bus ?
Ce qui est clair, on est chauffeur de bus pour gagner sa vie, et si, en plus, on y trouve une inspiration d’écrivain ou un public de lecteurs, tant mieux. On connaît quelques exemples où les deux métiers se sont combinés.

Nicolas Defay, 33 ans, poète, il conduit des bus au Puy. Il vient de publier un recueil de nouvelles « Un tricot de maux ». Maux comme le pluriel de mal. Des nouvelles assez noires. Il prétend que ses passagers l’inspirent et que son métier à un côté profondément sociologique. Tous ceux qui montent et qui descendent du bus portent sur eux les marques de leur famille, de leur classe sociale, de leur vie. Les transports publics convoient une partie d’humanité. Ce sont des lieux d’expression, de tristesse, de joie, de rencontre, parfois de violence – la violence de la jeunesse- ; des lieux où se développent des histoires d’amour impromptues.
Un microcosme de notre société malade, hélas aussi. Cependant tout le monde n’est pas capable d’observer cet univers pour s’en inspirer. Il faut un don.

Á Lausanne un roumain, diplômé ingénieur forestier, ne trouve pas à valoriser ses études et devient conducteur de bus. Il se met à écrire. Il s’appelle Marius Popescu. Il obtient le Prix Walser avec son livre « La symphonie du Loup ».

Le bus serait-il un laboratoire de création littéraire ?

Je reviens de Londres. J’aime les bus à double étage pour visiter la ville. Les arrêts se succèdent à folle allure. Un véritable chassé-croisé. On voit mal s’y exercer des séances de confidences entre chauffeur et passagers. En taxi, la situation est différente. Derrière les vitres embuées peuvent se raconter des pans de vie humaine et des anecdotes savoureuses. Je pense au best-seller de Khaledal el Khamissi, journaliste égyptien, qui raconte 60 conversations de chauffeur de taxi cairotes.
Le conducteur de bus, lui, ne peut se laisser distraire par des conversations passagères. Il est dans sa cage, en principe, inabordable jusqu’aux arrêts. Comment fait-il alors pour faire rouler son imagination ou transformer son bus en librairie ?

Les éditeurs et les libraires belges, tout le monde le sait, ne sont pas très friands des recueils de nouvelles parce que les lecteurs préfèrent les romans, la nouvelle leur laissant un goût de trop peu. Enfin, c’est ce qu’on prétend.

Willy qui avait commencé ses publications par des nouvelles, dès 1996, publie des romans. Des romans pricipalement d’ambiance noire.
-Les profanateurs de Moirville, en 1996 ;
-Piège Charnel, en 1998 ;
-Les démons de Borgival, en 2000;
-La maison de l’otage, en 2004 ;
-Sous le charme d’Alexandra, en 2006 ; et enfin
-Pernicieusement vôtre, en 2008.

Rappelons qu’une deuxième série de 7 nouvelles est publiée en 2001 sous le titre de « Au Sunny Girl ».

J’espère, pour ma part, qu’il continuera à écrire des nouvelles et à en publier, en alternance avec ses romans.

Est-ce que je me trompe si un des secrets de sa réussite résulte de la parfaite adéquation entre ses livres et son public pour qui il écrit ? Ses lecteurs attendent des histoires et il les écrit. Après, ils lui en redemandent. Ses histoires finissent mal, mais surtout pour les mauvais. Disons pour les vrais mauvais, car même les bons ne sont pas toujours vraiment bons. Le monde n’est pas rose. On peut s’attendre à tout. Derrière les gens les plus charmants, il y a parfois des monstres. Presque tous les titres annoncent la couleur : meurtre, traque, démons, otage, pernicieux.
Mais, particularité importante, ses histoires se passent chez nous, dans le Hainaut avec des gens de chez nous que ses lecteurs reconnaissent.
Je suis certain que les voyageurs des bus du Tec, s’ils l’ont inspiré, ne lui ont inspiré que des personnages honnêtes et bons. Les mauvais généralement roulent en Mercèdes.

Willy a fermé sa librairie roulante en 2001, année de sa prépension. Il continue à vendre autant qu’avant, si pas plus.

« Pernicieusement vôtre » a d’abord été une nouvelle avant d’être un roman. La transformation a été magistralement menée sans altérer le moins du monde la qualité déjà présente dans la nouvelle. La lecture du roman, préalablement à celle de la nouvelle (ce que j’ai fait) n’enlève rien au plaisir de la lecture de la nouvelle, après celle du roman. Autrement dit : si vous avez le temps de lire le roman, choisissez le roman, sinon prenez la nouvelle. Un conseil cependant prenez le temps, on en trouve toujours, lisez les deux.

D’abord, le titre « Pernicieusement vôtre », comme le titre d’une série noire américaine.
Ne vous attendez pas à un polar genre Experts de Miami, plutôt à un Navarro sans Navarro, ni mulets. Il y aura de la police, mais trop tard, quand tout est passé. Gladys, la belle héroïne, comme vous et moi ( enfin plutôt comme vous que comme moi), anciennement mariée à un type pas bien, amoureuse d’un nouveau venu intelligent, respectueux de sa mère, perspicace, qui verra vite clair, bien qu’il ne soit pas policier mais préposé d’une compagnie d’assurances, et qui se prénomme Eric. Une adolescente du nom de Mélodie, chiante comme toutes celles de son âge, issue de Gladys et de son premier con de mari, et qui n’aimera pas les nouveaux voisins italiens du nom de Fortunata et Luigi, le voisin Luigi qui s’y connaît en voitures (comme mon garagiste qui s’appelle aussi Luigi), qui reluque un peu trop les filles trop jeunes pour lui ( le voisin et aussi mon garagiste). Luigi et Fortunata ont fabriqué une adorable jeune femme, avec qui Gladys se liera d’amitié et que notre auteur a nommé à juste titre Laetitia.
L’ambiance d’abord est à la rose. Tout le monde il est gentil, serviable, prévenant, même Luigi qui a le regard à tendance baladeuse comme tous les italiens de la soixantaine, même Fortunata qui passe son temps derrière les rideaux de sa fenêtre, et même Mélodie allongée sur son lit avec la tête dans le vide. Enfin, disons Mélodie, un peu moins que les autres. Donc tout va bien.

Bientôt quelques petits ennuis voient le jour. Des méchants gamins de quartier commettent des actes de vandalisme sur les voitures. Gladys cherche à protéger la sienne. Fortunata et Luigi vont mettre un garage à la disposition de Gladys .
Gladys commence à se poser des questions sur les voisins. L’atmosphère se déterriore progressivement au point de donner raison à l’adage que les apparences sont trompeuses et qu’il ne faut jamais s’y fier.

Ne dévoilons pas la suite. Comme dans tout polar, l’intrigue s’installe et même la fatalité s’en mêle.

Au départ d’une histoire apparemment banale, tous les rouages d’une tragédie grecque de faubourg se mettent en place. Les belles certitudes s’écroulent. Cela pourrait-il nous arriver ?

Tout est possible.
Un fils doux comme un ange tue ses deux parents et sa sœur à coups de couteaux. Un mari ouvre la porte du hall de sa maison et trouve sa femme et sa fille pendues. Une bonne mère tue ses cinq enfants dans un bain de sang et une autre supprime ses rejetons au nombre de huit après chaque naissance sans que rien ne puisse laisser supposer qu’elles auraient été capables de le faire ou qu’elles auraient eu une quelconque raison de verser dans cette horreur.
Certains commettent des actions insensées sans le moindre signe de pathologie.
Les psychiatres tentent des essais d’explication autant controversables que controversés. Ils font le beau jeu des auteurs de polar.
La vérité est soi-disant le contraire du mensonge.
Combien d’innocents ont subi la peine capitale, monsieur l’écrivain ?
Combien de coupables échappent à la justice des hommes ?


Jean Botquin

mercredi 4 août 2010

La saison des fruits






















"N'oublie pas d'embrasser les citrouilles, disait mon grand-père, quand tu iras les saluer dans le potager: ce sont les plus grands fruits de la terre dont on fait des carrosses d'or, d'un coup de baguette." Ma grand-mère disait à son tour:" C'est aux fruits que l'on distingue l'arbre. Celui qui n'en porte pas n'a pas de nom. On le regarde sans le reconnaître."



La nature est compliquée. Je n'ai pas vu le citrouillier.



Plus tard j'ai vu des pommiers sans pommes, des poiriers sans poires, des pauvres noyers sans noix et des cerisiers sans cerises. Ces erreurs-là, ce sont les jardiniers qui les réparent. Ils greffent, font des boutures et des carrosses d'or. Et alors tout va bien. On peut astiquer les bassines à confiture. Il paraît que le jardinier donne aux fleurs l'envie de prendre du ventre et de s'arrondir. Pour que la fleur grossisse bien, on doit lui enlever la gelée blanche qu'on trouve parfois au printemps dans les prairies quand il fait encore froid.



Mon grand-père m'a dit que certains fruitiers se passent de jardiniers: ils s'arrangent entre eux sans rien demander.. Dans son jardin, il y a un arbre à kiwis. Il ne portait pas de fruits. Un jour, il s'est mis à enlacer un vieux pêcher squelettique qui se mourrait à côté de lui. Voulait-il l'étouffer de ses longs doigts sinueux ? Non, non, grand-père a dit qu'il voulait simplement l'aimer pour le faire revivre. En un seul été l'arbre a tissé un grand dôme de feuilles duveteuses au-dessus du pêcher. En dessous, les pêches sont revenues, blanches et juteuses comme jadis, encore un peu étourdies de leur long sommeil. Et en même temps, vous ne le croirez pas, il y a eu des clochettes qui ont pris très vite la forme de kiwis aux couleurs de militaires camouflés sous les branches pour qu'ils aient le temps de grandir.




Des fruits, il y en a des toutes les sortes. Je les préfère accrochés aux arbres quand ils commencent à prendre du soleil que dans les corbeilles du marchant de fruits italien. J'aime bien les confitures, mais pas celle des citrouilles dont on fait des carrosses.


Jean Botquin. Texte extrait de "Jardins en Pays de Liège"