jeudi 28 avril 2011

Le livre- Texte de "Le front haut" de J.B. Suivi de Itinéraire.

Le livre

Le livre se fermait, page après page. Il le tenait entre les doigts, essayait encore de l'ouvrir pour retrouver la page, la seule où il lui avait semblé qu'à chaque mot, l'oiseau chantait. Était-ce l'oiseau qui faisait s'envoler les mots à tire d'ailes ?
D'autres mots s'étaient envolés de la même manière, d'autres mots s'étaient perdus, irrémédiablement, en dehors de l'univers du livre qui se fermait. D'une main, il ne pouvait empêcher que les mots ne s'enfuient, ne s'envolent toujours plus loin. D'une main, il lui était impossible de les rattraper, de les ramener dans le texte qu'il ne comprenait plus.
S'il l'ouvrait à une autre page, c'était la même chose, les mots se bousculaient vers l'ouverture pour s'échapper comme s'ils en avaient assez d'être rangés dans l'ordre des phrases ou le désordre du cerveau fatigué.
Le livre se fermait et peut-être fermait-il le livre comme on le ferme après lecture, dans l'espoir ou le désespoir qu'un autre l'ouvre afin de pouvoir découvrir le secret caché même pour qui croit avoir tout découvert, sachant bien que, fermé, le livre ne peut plus que mourir.



Itinéraire
Chemin à la fois prêté et emprunté, chemin qui nous conduit vers une destination toujours inconnue. Itinéraire peut-être interdit. N'est-il pas sans arbre et sans ombre ? N'est-ce pas un chemin lunaire sur les toits de la ville ?
Nous ne voyons rien, même pas pointer le jour. Nous n'entendons rien, même en tendant l'oreille.
Défilent des hommes qui transportent des charges sans nom, très loin, et parfois à bout de bras, dans la position la plus douloureuse qui soit.
Pareils à ceux qui, avant eux, sont passés sur le même chemin, avec des charges semblables qu'ils s'efforçaient de ne pas regarder pour ne pas leur donner de nom.
Jadis il traversait le jardin, sans détours. C'était peut-être un chemin de soleil illuminé par le sourire des fleurs qui embaumaient nos gestes les plus tendres. Peut-être un chemin de neige où nos pas glissaient sans laisser d'empreintes. L'itinéraire semblait printanier même en hiver. La nuit, il suffisait de lever la tête pour entrer dans les étoiles jusqu'à l'aube.

mercredi 27 avril 2011

Et si on continuait la lecture de "Le front Haut"

Le carrousel
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Sur le cheval, le blanc aux yeux d'ivoire, la licorne aux ailes d'ange, tu montes et tu descends, en tournant, tournant toujours d'un tour à l'autre. Et tu tournes dans les miroirs où je te vois autant de fois, mille fois, je crois, dans ma mémoire. Tu apparais puis disparais, mes yeux te suivent, te poursuivent. Jusqu'où pourront-ils te voir à chaque tour et te revoir ? Seule sur le carrousel, tu montes et tu descends. Ton rire éclate, tu tournes dans ma tête aux sons des orgues foraines, tes cheveux dansent, tes reins se cabrent. Chaque fois tu pars et tu reviens, tu entres, tu sors de la lumière, tu viens du rêve, la nuit te va, ton sommeil traîne dans ma mémoire. Où suis-je donc ? Où es-tu donc dans cette ronde qui n'en finit pas. Ton sourire passe. Tu passes, tu tournes, tu te détournes, tu fuis, tu t'échappes rivée à ce cheval ailé qui ne peut s'envoler puisqu'il est de bois.


L'empreinte
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Le jour s'est levé à travers la persienne restée ouverte à mi-chemin.
Dehors, une volée d'oiseaux et l'herbe humide de rosée. Dedans, moncorps endolori de nuit, de valses, de tourbillons, d'étreintes, d'ombres.
Mon corps comme une épave. Mon corps comme un creux, mon coeur comme rien, mon espace vide.
Qui suis-je avec ces espèces de genoux détachés, ces doigts envolés, ces reins éreintés par la marée, échoué, nulle part ?
Reste sur les murs, l'empreinte de nos ombres, celle que nous avions essayé d'effacer très vite pour ne pas tacher la surface des murs.

Le rosier
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Elle aime les roses et a les pouces verts. Au début, le rosier ne donnaitqu'une rose à la fois. Elle l'a taillé, comme il faut, aux bons endroits.
Depuis, elles prolifèrent toujours plus nombreuses. C'est un rosier ardent que l'on voit de partout. Il suffit d'ouvrir une fenêtre sur le jardin pour qu'il entre dans la maison. Un jour, il s'est retrouvé au milieu de la table ronde. Il y avait cinquante-cinq roses, toutes plus belles les unes que les autres. Elle leur parlait, elle les appelait par leur nom. "Mes petites passions feutrées", disait-elle, "mes porteuses de vent", "mes regards illuminés", "mes langues de miel". Elle seule pouvait respirer leur odeur sans défaillir. Des pétales fanés, elles distillait l'essence pour en faire un parfum dont elle s'embaumait. Imprègne-toi de l'odeur de mon corps, lui disait-elle, quand il la retrouvait le soir. Je suis le rosier de ton désir.
Mon corps est couvert de pétales, mes lèvres sont humectées de rosée. Je suis la première rose des mille et une nuits. Et il recueillait sur ses lèvres la passion du rosier.

Jean Botquin

jeudi 21 avril 2011

Le Cierge Extrait de "Le Front haut" de J.B.

Longtemps, il regarda le cierge brûler. Les larmes de cire coulaient. Il pensait à la mèche qui, lentement, se consumait en fumée. Si j'étais à l'intérieur de moi-même, se disait-il, mes pensées monteraient vers le ciel comme cette flamme, mon âme transpirerait comme cette cire qui s'amollit. Je serais une moelle incandescente. Les paroles emprunteraient le chemin du silence.
Il examinait ses mains à la lueur de la flamme de ses pensées. Il les tournait, les retournait. Elles étaient sans surprises, étroites et longues, silencieuses.
Ces mains se souvenaient d'une femme qu'elles avaient longtemps caressée, pendant de longues heures, sans jamais atteindre l'intérieur de sa tendresse endormie.
Elles étaient là, abandonnées à ce souvenir tandis que la flamme formait des paroles qu'il ne pouvait plus prononcer.

L'éveil. Extrait de "Le front Haut" de J.B.


Ils s'étaient réveillés l'un à côté de l'autre. Ils ne savaient pas qui des deux s'était réveillé le premier. Mais, éveillée, elle lui paraissait plus morte qu'endormie, comme si le sommeil lui avait ôté la vie. Elle lui faisait signe de son regard gelé, de son regard qui bougeait à peine ou qui cesserait bientôt de bouger.
Il ne savait pas s'il était de ce côté ou de l'autre. Lui disait-elle des choses qu'il ne comprenait plus, parce qu'il en aurait oublié l'existence depuis trop longtemps ? Ou, au contraire, ne disait-elle rien alors qu'il pensait avoir entendu qu'elle parlait ? Peut-être était-ce lui qui chantait d'une voix intérieure cherchant à étouffer sa propre voix - qu'il n'aurait pas reconnue - dans l'oreiller.
Quand ses mains se mirent à chanter telles des ailes blanches, on aurait pu espérer qu'il comprendrait ce qu'elle disait enfin. Cependant, il était dans son dernier rêve, celui qui précède chaque fois l'éveil, et dans lequel elle lui était apparue presqu'aussi froide qu'elle n'était au moment de s'éveiller.
On peut se demander s'il avait vraiment dormi, même s'il n'avait pas veillé toute la nuit à côté d'elle qui aurait fait semblant de dormir ou qui aurait choisi de mourir. Comment savoir s'il ne l'avait pas tuée en ne l'écoutant plus chanter de ses ailes blanches et en ne comprenant plus pourquoi ses yeux se taisaient.

lundi 18 avril 2011

A travers le Hainaut. CHEMINS DE DECOUVERTES









































1


Sous le dôme des arbres


Quand renaissent les jacinthes


Le regard est bleu


2


Depuis ce matin


A tire d'ailes les hirondelles


Traversent le jardin


3


La Haine comme un songe


Sans ennui dans la campagne


Paisible du Hainaut
4


Cascade de la Haine


Pareille au torrent rapide


Parmi les rochers
5


Loin après la hâte


D'arriver à la lisière


Lenteur du chemin


6


Un toit de hêtres


Rouges s'appuyant deux par deux


Boiteux séculaires









Haïkus de J.B.


Cherchez la photo qui convient.

mardi 12 avril 2011

Les sarmants. In "Le front haut" de J.B.

A maman, à qui je pense tous les jours.

Les sarmants

Déjà, elle avait tiré son âme sur les yeux, comme on se couvre pour dormir. Ses mains ressemblaient de plus en plus à des sarments desséchés qui auraient épuisé la terre. Maintenant, les mains demandaient sans parler, parfois suppliaient : « Vois-tu, nous sommes sorties de l’œuvre et la vie se rétrécit à l’intérieur de nos doigts. Notre maison, c’est le fauteuil ou nous égrenons le chapelet du temps ». C’est ce qu’elles pensaient, sans trahir leur silence. Régulièrement, elles interrogeaient une horloge qu’elles tenaient sur les genoux. L’horloge prononçait d’une voix métallique : « Il est treize heures quarante-cinq minutes ». Autrement dit, il y avait plus d’une heure que le repas était terminé. Et il faudrait encore attendre près de trois heures avant de manger la tartine du soir. L’horloge ne disait pas : « C’est l’après-midi. Il est une heure quarante-cinq minutes ». Non, cette boîte préférait compter jusqu’à vingt-quatre. Le langage véritable des heures et des saisons lui était inconnu. Ainsi le temps ne passait plus guère. Il y avait peu de différence entre la lumière du matin, du soir et de la nuit. Les saisons et les jours n’étaient plus qu’un seul hiver sans fin où le regard ne fleurissait plus.
In « Le front haut » de J.B.

mardi 5 avril 2011

Piqués des vers - 300 coups de coeur poétiques. Espace Nord


Une anthologie où se cotoyent 300 poètes belges, nés entre 1855 et 1983, classés par date de naissance, sans indication de leur décès (éventuel ...mais inéluctable). Les poètes ne sont ils pas éternels ?


J'y suis aussi. Merci Colette. Merci Christian. Je passerai donc dans l'histoire de la littérature belge, à tout le moins, vue à travers votre regard.


Vous êtes allés chercher un extrait de poème paru dans "Elégie pour un Caléidoscope".


Le voilà:

Nos bouches boivent

la chair à la chair

nos bras carguent des ombres

indociles

nos mains s'attardent

sur nos têtes

terreuses


De son long glaive

un dernier rayon

éventre la neige

et nous givre d'aube


Quel âge avais-je quand j'ai écrit cela ?

C'était il y a longtemps !