mercredi 24 août 2011

Haïkus d'un été d'intérieur (suite) Jean Botquin

Quelques amoureux
De la Haine en quête d'espoir
Les pieds dans la boue
+
Les coquelicots
Accueillent le sang sacré
D'épis horrifiés
+
Si nature voulait
S'en serait fini
De cette mâle fierté
+
Les roses trémières
Se reposent contre un mur
De briques roses
+
Les roches montrent
Des lamelles stratifiées
De roses pétrifiées
+
Il passait des nuits
Entières à consoler
Son triste grimaudin
+
Les chaises finissent
Toujours par se ressembler
Dichotomiques
+
Quelques kiwis gris
Sous le duvet des feuilles
Prolongent la nuit
+
Tentacules aériens
D'un arbuste sillonnant l'air
De ne pas y toucher
+
Un merle affamé
Sur une branche de sorbier mange
Quelques baies oranges

dimanche 14 août 2011

Naître à l'insu de soi (fin). Extrait de Ténéré.



C'est alors ou un peu plus tard peut-être le lendemain
d'un jour pareil entre deux levers de soleil deux couchers
les mêmes chaque fois mais toujours différents dans le
temps immuable dans le temps écoulé dans le cours du
temps le temps du levant du couchant précédant le
temps qui précède qui suit l'autre temps
Que je te vis et te regardais d'abord dans les couleurs
du soleil le ciel nucléaire explosé de fin du monde
au-dessus du squelette de la terre dépouillée en voie de
disparaître dans la nuit
Et te regardais éclair sur la dune dunes
métamorphosées pures allongées sur la pureté des
dunes minérales déséquilibrées équilibrées par le
vent arêtes du vent sous l'arrêt de la lune sa longue
course que je te vis et te regardais
Était-ce la première fois celle d'avant ou celle qui
suivit ?
Et la musique se dressa chavira en moi se fit silence
se fit arêtes de dunes versant de lune sous l'espoir du vent
sous le vent et la voix de la cathédrale aux ogives invisibles
et parfaites Et je te regardais comme une première fois
comme une dernière fois comme celle qui suivra toi aux
courbes aux ogives aux regards aux formes aux
harmonies au lustre de la terre nettoyée par le sable charrié
par le vent roche nue sculpture modèle ineffable
Que je vis et que je regardais

Mallia. Poème minoen de Jean Botquin


Il y a longtemps la Mallia
des pithoi
ciel et terre de feu
sur la mer Égée

Squelette
plan de ville amère
enchevêtrement triste
où j'étais entré comme un aveugle
ébloui d'un savoir intérieur
à la recherche d'un autre Thésée
d'un autre Minotaure
Questionnement qui me brûlait
les yeux et la langue
l'âme comme un souffle
dans le hululement
au-dessus des pierres
qui gémissent
sous le vent de Libye
par-delà les terrasses
obsédées
Attendre assurément
que surgissent les cohortes
de démons nus derrière leurs boucliers
dévalant les ruines palatiales
vers la mer
aux couleurs de Camares

Le poisson de la Saint Jean. Texte de Jean Botquin. In "Le front haut".


Dans mon rêve, j'étais un poisson se tortillant sur le sable, la proie de l'étouffement et des rapaces. Rejeté de mon élément naturel, j'allais mourir. J'étais déchu des anges, j'étais vomi par la mer. Je serais ta proie, Saint Jean. Tu m'écaillerais l'âme avec ton bec d'Apocalypse et tes griffes d'Evangéliste. Tu ouvrirais mes entrailles. Tu m'arracherais le coeur et l'estomac. Froid de marbre, froid de sang, froid d'espérance, mon oeil blanc te regarderait une dernière fois, Saint Jean.
À moins que tu ne m'aies pris dans ta douceur de disciple préféré, d'adopteur de mère abandonnée, à moins que tu ne m'aies bercé dans tes griffes tendres, que tu ne m'aies poussé vers la mer sans me balafrer le ventre, sans me brûler de ton feu sacré.
Et je rêvais d'un soleil d'ambre, du soleil que l' ombre des îles me cachait, de l'écume des rayons, de la poudre d'insectes de mer, des algues quasi immobiles dans le fond des océans et au milieu desquelles je nagerais comme un poisson rejeté à la mer par ton amour, Jean, ou ta condamnation.
Pourquoi n'ai-je pas rêvé que j'étais une hirondelle ? Ainsi tu ne m'aurais pas reconnu, Saint Jean et tu m’aurais laissé seul dans mon rêve.

lundi 8 août 2011

Phaïstos. Poème minoen de Jean Botquin.



Ciboire du cercle exhumé
des gradins de l'histoire
où l'on trempe les gerçures
de nos lèvres brûlées
tandis que
nos cordes vocales
tendues par les midis
exaltés taisent leurs secrets
Nous ne savons plus rien
des passés adossés à l'avenir
rien
de tous ceux qui nous regardent
marcher
sur les pierres de roche blanchie
par le soleil
Ô propylées
qui déclinent nos regards
vers la mer d'oliviers
et
les montagnes bleues
À quelle patène vouer son esprit
à quel disque solaire
enroulé sur son labyrinthe
vouer son amour
en ces rituels d'outre-tombe
et d'oubli séculaire

vendredi 5 août 2011

KATO ZAKROS Poème minoen de Jean Botquin

KATO ZAKROS
Comme la dernière page du livre avant la mer
après c'est le vide
la méditation dans la brume
de chaleur descendue du ciel
un regard d'hallucination
accroché aux nuages

Comme une descente aux enfers
Au-delà c'est inutile
il n'y a plus rien
Nous sommes arrivés les voiles gonflées
de sable et de souffre
à l'orée du port
de montagne ou de grande mer sur le néant
en criant peut-être

Thalassa

Comme on ouvre la bouche
pour mourir

Je savais que nous n'irions pas plus loin
déjà c'était trop
comme des rafales de démence
qui nous auraient portés sur les ailes du vent
il fallait s'agripper à nous-mêmes
avant de descendre
dans le palais
de fin du monde

Plus bas s'étalaient les ossements
les arêtes
les nervures
les murailles atrophiées
dans un silence écrasant
d'après cataclysme

jeudi 4 août 2011

Le Palais. Un Maroc insolite. Publié dans Ténéré et sur Facebook

LE PALAIS
La foule se dressait aux portes des palais roses et rouges
ocre ou gris
échafaudés dans la glaise séchée au soleil les fenêtres rares
les tours accrochées à leurs charpentes
les éperviers tournoyant autour des murailles tenant par miracle
accoudées les unes aux autres
derniers bastions
dernières bastides
friables comme des châteaux de sable célébrant des cascades de palmiers
dans les gorges taillées par les torrents aujourd'hui disparus mystérieusement abandonnés des déluges
depuis au moins dix saisons
Et la fournaise d'un été interminable rivalisant avec la fraîcheur obscure des chambres aux parois de terre

Et les chèvres entrant dans les maisons de pisé tertres creux de terre rouge
mélangée à la paille séchée de l'orge
aux pierres concassées
à la bouse de vache
et à l'urine de dromadaire

Des ouvertures dans les parois
confessaient leurs bouches à l'haleine pestiférée
à travers les moucharabiehs
Et les enfants dans les ruelles traînant
en guenilles déteintes par le soleil et la poussière
avec des sourires édentés
sous le crin poisseux de leurs têtes rasées
Et les enfants portant d'autres enfants plus petits
ligotés dans un châle sur le dos
poupées de chiffon vivantes
endormies
balancées des heures entières
Ils tendaient la main
à défaut de pouvoir faire mieux avec un regard suppliant
comme une complainte
ou une agonie

Parfois les enfants étaient sur des ânes déjà chargés comme des bourriques
(plus ils sont petits, plus la charge est lourde)
au point de repousser les gens derrière les portes dont les loquets n'avaient pas été tirés
Des âmes erraient dans les ruelles puantes termitières préalables au désert
villages macérés
ruminés et vomis
avec des hoquets de boue gluante
au centre d'une croûte terrestre
bordée de maigres cultures
sillonnés de maigres filets d'eau
avec des chiens jaunes qui pissaient dedans des chiens toujours les mêmes
tous clonés à la même image

Il y avait des âmes dans ces limbes du désert des âmes tatouées au henné
signes magiques
figures gravées dans mes nuits hallucinées

Il y avait une espèce de peuple damné peut-être ou glorifié
dénué de tout et vivant de rien
Jean Botquin
Eté 2004

mercredi 3 août 2011

Olonte. Poème minoen de Jean Botquin

Les traces s'effacent
de l'Olonte
engloutie

Autour de l'émeraude
les mains palpent
la présence invisible
envahie par les algues
sous la berceuse des flots

Est-ce le sommeil ou la mort
l'amour enfoui à jamais
jusqu'au réveil
inespéré

Quand la nuit
des fragments de lune
divisent l'ombre
du port détruit
une autre Venise sombre
à la dérive des embarcadères
dans une longue indifférence

Faut-il attendre le soleil du berger
poussant son troupeau bêlant
l'Olonte disparue

Ou parler
dans le silence
des paroles définitives

Ou laisser mûrir les perles
dans la nacre des pupilles
et
le bleu des songes crétois
en se trompant
d'espoir

Amourada. Poème minoen de Jean Botquin.

Éole se tait
Le soleil a sombré
La lune soudain se détache
des montagnes du côté de Sitia
disque éclatant dont l'argent
se prolonge sur la mer

L'oreille devine le ressac
aux pieds des falaises
Le corps frissonne
à l'extrême de la chaleur
des roches éteintes
et des premières étoiles

Si tu avais été là
toi que j'attendais
au bord de la baie de Mirabello
j'aurais cueilli la rivière de diamants
d'Haghios Nicolaos
pour la poser sur tes épaules nues
Je me serais lové contre ton mystère
O mon amour
inaccessible