mercredi 8 décembre 2010

Une conception moderne de la poésie (suite et fin).Jean Botquin



Au départ, l’inspiration poétique naît souvent d’une image, d’une sensation, d’une émotion. Le choc survenu, le thème se développe ensuite presque de façon naturelle. La forme s’impose quasi immédiatement. Certains poètes modernes prétendent que l’inspiration poétique- la pensée- s’élabore à la suite d’une rencontre de mots dont la signification primaire –basique- est transcendée par la sensation ou l’émotion (la transe).
Pessoa a doté un de ses hétéronymes, Alvaro Campos notamment dans « L’ode maritime », d’une démarche poétique basée sur la sensation et son analyse, en octroyant aux mots choisis une charge métaphysique énorme. Dans le processus sensationniste d’Alvaro Campos, le poète va jusqu’à s’identifier à toutes les autres personnes et les objets, il fait sans cesse se reculer les frontières de l’imaginaire. Il va des mots aux idées et à la pensée (sans qu’il y ait eu nécessairement un déclic sensationnel ou émotionnel) ou des émotions vers le langage, ou les deux simultanément, peu importe. Il est d’ailleurs difficile de déterminer la succession des phases.
Pessoa part de l’analyse des sensations pour appeler le langage qu’il charge de signification. Quand on parle de sensations, il s’agit bien des cinq sens : la vue, le toucher, l’ouïe, le goût et l’odorat avec des transferts modaux d’un sens à l’autre, par exemple, la sensation de voir ou de percevoir à travers le sens de l’ouïe ou du toucher. Ensuite, il intellectualise les sensations, il les fait devenir abstraites (pour les rendre accessibles à chacun ?). Ce travail consiste à rendre littéraire la réceptivité des sens au moyen de la conscience. Véritable travail de laboratoire poétique étudié par José Gil dans « Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations ».
La sensation est un phénomène concret propre à celui qui l’ éprouve. Elle peut donner naissance à une émotion, au départ vide de sens et intransmissible à d’autres, si on ne lui fait pas subir une transformation intellectuelle qui la rend abstraite. Autrement dit, l’émotion personnelle doit se muer en émotion artistique par son intellectualisation. La prise de conscience de la sensation et de l’émotion qu’elle a provoquée conduit à donner une valeur esthétique aux mots et au langage. Prendre conscience de cette prise de conscience permet d’exprimer la ou les sensations.
En réalité, écrire un poème serait un moyen d’explorer et de rendre abstraites les sensations. Le fil de l’analyse des sensations correspondrait au thème poétique. Selon cette conception, le poème serait un métadiscours permanent. Le poète sent, se sent sentir,et l’exprime ; il voit, il se voit (il s’entend) voir et le dit.
C’est ainsi que l’art est la tentative de création d’une réalité totalement différente de notre réalité concrète. L’émotion pour gagner en relief doit être donnée comme une réalité abstraite.

Jean Botquin

jeudi 2 décembre 2010

Une conception moderne de la poésie. Jean Botquin

Blood and poetry de Jacques Charlier
Galerie Vilenne Liège



Une conception moderne de la poésie

La poésie a beaucoup évolué. On est loin de nos anthologies de poèmes classiques – de la versification et de la métrique – qu’on nous faisait lire et apprendre par cœur dans l’art immémorial de la déclamation. Certains cultivent encore ce mode d’expression. Il suffit de compulser des revues de poésie – surtout françaises – pour découvrir ( avec ennui ?)- des rimailleurs « primesautiers » qui excellent dans ce mode un peu provincial et prosaïque. Cette poésie n’a de poésie que le nom. Ce sont les rimes qui rythment la cadence en guise de musicalité. Loin de moi de vouloir prétendre que la versification ne peut s’accompagner d’idées originales, d’images réussies et que de ce type de poésie ne puisse se dégager un certain esthétisme. Il y a de magnifiques exemples.
Á l’autre extrême, depuis Verlaine, Mallarmé, Valéry, Rimbaud et Apolinaire, il y a une poésie libre – dans son expression - qui a rejeté toutes les formes anciennes et les règles formelles et qui attache plus d’importance au fond et à la magie des mots formulés par notre inconscient. Ce qui ne veut pas dire que cette poésie évolue en toute liberté. Elle est nécessairement tributaire de son auteur, de son psychisme, voire de sa spiritualité. Sa nécessité ne découle pas de sa forme mais de sa nature profonde. Elle n’obéit qu’à elle-même. Selon moi, elle reste accessible aux autres, si elle ne verse pas dans les outrances de l’écriture automatique ou de la poésie dadaïste, hermétique et, par conséquent, incompréhensible pour le lecteur qui ne possède pas les clefs (chaque poète ayant la sienne) de décryptage d’un langage ésotérique.
Je considère qu’en tant que poète d’aujourd’hui, j’ai peut-être eu la chance de ne pas avoir été formé en poésie classique. J’y suis incompétent.
J’ai commencé à écrire de la poésie en fin d’humanités gréco-latine. Ma poésie était très proche de la prose. Une prose dotée de musicalité – je l’espère – inspirée uniquement, ou presque, par des images issues du réel, de la nature, utilisées analogiquement pour exprimer des sentiments poétiques ou romantiques, au départ d’un état d’âme : le spleen des jeunes, le cafard de l’oisiveté, les sentiments amoureux suscités par des premiers émois ( pas le véritable amour qui vient beaucoup plus tard et qui confine à l’expérience de la mort. Voir Lettres à un jeune Poète de Rainer Maria Rilke). Était-ce de la poésie ? Je ne le crois pas. Je l’ai cru.

(à suivre)