mercredi 26 novembre 2008

Où vont-ils ?

Train du soir - Paul Delvaux (1957)


Sans raison, le train s'est arrêté dans la gare, très longtemps.
D'abord les gens se sont regardés.
Ensuite, par les fenêtres, ils ont vus les quais de la gare, vides et éclairés, car c'est déjà le soir.
Seule, une petite fille attend sur l'autre quai sans bouger.
Les portières sont restées fermées pendant toute la durée de l'arrêt, interminablement.
Une femme s'est mise à hurler tout juste avant que le train ne s'ébranle.

Le train est donc reparti. Les voyageurs inquiets ne se sont plus posé de question. D'ailleurs, on peut affirmer que ceux qui dormaient ne se sont pas réveillés, même quand la femme a crié.

On monte dans le train comme on monte dans la vie. On prend sa place et tout se passe bien. Il fait encore jour. Les paysages défilent derrière les vitres. Quelques rares voyageurs plus attentifs que les autres reconnaissent les collines, et les arbres, et les maisons. Ou ils s'en souviennent vaguement comme s'ils les avaient vus dans un voyage ou une vie antérieure.

D'autres, plus nombreux, ne reconnaissent rien bien qu'ils aient l'habitude de faire le trajet, parce qu'ils ne regardent jamais rien. D'autres encore font semblant de reconnaître ce qu'ils voient pour se rassurer et ne pas avoir l'air stupides. La plupart cependant dorment et ne s'intéressent à rien. Ils vivent comme s'ils n'étaient pas là.

Plus d'un mangent, pris de boulimie voyageuse. A peine installés dans la vie, ils se mettent à grossir. Ils deviennent obèses. Ils se remplissent de nourriture et de vide. Ils croient tout savoir sur le voyage, les arrêts et les gares de campagne où personne ne descend plus même quand les gardes ouvrent les portières et sifflent pour rien.

Pourquoi sont-ils montés dans la vie comme on monte dans un train qui ne va nulle part ?

Enfin, longtemps plus tard, quand le train freine avant la dernière gare, ils meurent, oubliant qu'ils sont nés de rien et qu'ils se sont trompés de vie et de train.

J.B. 26 novembre 2008

N.B. Ce texte existe aussi en Italien sur le site Reppublicaindipendente (voir"liens")

dimanche 23 novembre 2008

Ode à l'Hiver











Couvre, Hiver, de tes regards de neige
le haut plateau strié de failles noires
Rompt le vallonnement
qui s'étale
à en perdre l'haleine du froid
argenté

Noie de tes brumes les encolures sylvestres
au-delà des fourrures épaisses dont se vêtent
les saisons oubliées
Allume tes chandelles frileuses autour
de nos regrets figés dans l'attente des fées
et des rêves tracés à l'encre de chine
sur les blancheurs d'outre-tombe

Glane, Hiver, les étoiles d'un firmament
trop lointain pour les semer sur la terre
en pluie de promesses inespérées
offertes au désespoir des vents
Brûle sous tes pas, Hiver, l'herbe et les feuilles mortes
Aspire les racines des pierres hors de leur morgue tenace
Que germe ton marbre parmi les cloches de glace
Que s'envolent les mauvaises années
sur les ailes des anges
et les sourires d'enfants.
J.B.
J'aime beaucoup "Le livre de la neige" de François Jacqmin (Editions de la Diofférence) chez qui je me retrouve un peu. Ainsi, le passage suivant:
J'ai du rassembler ma propre immensité pour tenir
tête à la neige
Sa paleur
ressemblait au système du néant vu à travers
le sommeil
Jusqu'ici
j'avais vécu dans une encoignure; je me sentais peu fondé à dire "il n'y a rien".
La voyant si blanche, je voulais
être digne de son enchantement sans emploi.

jeudi 20 novembre 2008

Thème pour une gare - A Paul Delvaux



Sur le quai désert un homme attend
immobile
Le train
on ne sait lequel
débouche du lointain
lentement comme s'il avait le temps

Aux fenêtres du convoi
mille visages interrogent le silence des quais

L'homme regarde le train qui passe et n'en finit
pas de passer
Oui mille visages de cire et de verre
un seul sourire peut-être capté dans un miroir
un seul probablement

Le train passe et c'est la dernière voiture d'acier
vert
que l'homme peut encore entendre glisser sans
bruit
sur le rail dont on ne sait quel lointain voyage

Et l'homme se noie dans la fin du cortège
des visages de glace qui se pressent comme des
mannequins nus
dans les vitrines d'un grand magasin de la place

Et l'homme pense mais pourquoi ne s'arrête-t-il
pas
tandis qu'il roule un peu plus vite vers la frontière
de la ville

Maintenant il se dresse, l'homme avec à ses pieds
la rose triste
qu'un main inconnue a sans doute jetée sur le
quai
au passage du train qui ne s'arrêtait pas

Il la regarde sans la voir
lui tourne le dos en haussant les épaules
et s'en va car elle ne reviendra plus

Le dernier train a disparu de la gare
inutile désormais


Ce texte publié en mai 2002 dans "Elégie pour un kaléidoscope" a été adressé à Paul Delvaux qui, en remerciement, m'a envoyé une carte postale signée de "la gare forestière".

Novembre



Un instant j'ai vu l'arbre transparent

en filigrane sur le ciel

une feuille translucide d'où s'évaporent les nervures

tel un tissu de radicelles

tel un fouet de pluie

tel un miroir de soleil d'eau picoré de rêves d'oiseaux

aujourd'hui envolés

à l'extrême des brumes d'un été déjà lointain

avec au centre des veinures

un coeur battant encore du souvenir

que recueillent les tombes

Dans tes yeux aussi je l'ai vu

l'arbre

dans tes yeux ouverts sur le vieillissement

de nos gestes et sur la solitude embaumée

des chrysanthèmes qui se fanent

Alors que les jours expriment la rouille

les fauves et les ocres lumineux

et que les vents accourent du fond des terres


J.B. 20 novembre 2008









mercredi 12 novembre 2008

L'écriture

Oeuvre chypriote à la FIAC 2008 de PARIS



Alors, Jean, tu écris toujours ?

Depuis 13 ans que je publie (difficilement), cette question m'est posée régulièrement, surtout de la part d'anciens collègues de travail (qui considèrent sans doute qu'il s'agit d'un passe-temps, ou d'un hobby, comme on dit aussi). Parfois, j'ai envie de répondre par une question: Je ne peux pas ? , ça te gène ?, tu crois que ça va me passer? Ce n'est pas si grave... Il y a dans cette question une espèce de jugement négatif qui m'est désagréable. Je sais bien que nul n'est prophète dans son pays.

Aussi, un jour, j'ai eu envie d'écrire ce que l'écriture représente pour moi.



L'écriture.




Les mots

je les ai mâchés comme de l'herbe à silence

à en vomir

j'arguais du globe de verre

qui m'isole du monde

je volais de place en place

tel un planeur dans la sphère

de ma nuit où je dormais

croyant m'immoler

La spéléo de l'écriture

la cagoule du meurtrier

qui n'a plus rien à avouer

la profondeur des eaux stagnantes

les aiguilles de ma chair de glace

tournées vers l'extérieur

comme celles d'un porc-épic

les stalactites de ma pauvre âme

plantées à contre-sens

Parfois je songe aux milliers de mots

que j'économise comme un avare

où sont-ils donc ? Me restera-t-il un regard de mime

un cri de sourd-muet

le langage du sémaphore

les gestes des clowns

à la bouche cousue ?

Les images se précipitent

comme un troupeau de bisons

dans un désert

Bousculade infernale à en frémir

après ce n'est plus que poussière

le grondement sourd de la fin du monde

la mort ou la folie d'Alzheimer

Langage de fou

ou de vieillard avant d'être vieux

absence de sens

tissage de contresens

hoquets sublimes de l'estomac

éructations

bruitage

tout se passe à l'intérieur du corps

qui ne fait que des bruits

de machine laborieuse

Ah! la belle alchimie mensongère de l'esprit

qui n'est que glouglou

borborygmes prétentieux

pétaudière

contradiction et foutaise

confusion

coma éthyliqie

Oui

plus de sons sur mes cordes vocales

cordes à linge délestées

cordes à sauter sans danseuses

cordes à vibrer sans musiciens

rien que des braises qui se consument

dans l'antre de ma cuisinière

et qui partent en fumée

On a beau articuler

les sons restent coincés

comme dans les rêves

l'oued est à sec

les lauriers desséchés

les pistes vont

nulle part

D'abord décoder

décrypter

démystifier

écouter les arbres

le vent

et les cigales

faire parler les hiéroglyphes des fleurs

respirer profondément

écouter la solitude et le peuplement de la mer

alors que tout chante

Entrer enfin dans le sang de l'écriture

alors seulement

sans se méprendre sur l'inévitable alternance

de la création où surgit la mort

à chaque instant

Car la naissance passe par la marée

le flux et la mouvance des flots

le sang et le sperme

la cendre

l'affolement

la multiplication et le cancer

l'anarchie et la mort

l'angoisse du néant

mais aussi la lactescence des mots

Tout se projette dans l'univers

même si c'est pour y mourir

la violence

la lave et l'ouragan

les fenêtres les portes s'arrachent au visage

les femmes s'ouvrent se déchirent

sous le scalpel de l'écriture

Tout dire ne jamais se taire

enfanter le sable des plages

les récifs de la mer

les arbres de soleil

l'inaccessible étoile

l'impossible archipel des mers australes

les enfers de nos têtes

nos peurs les plus secrètes

les mots de feu qui nous pénètrent

comme des pensées de chair

et des sexes en rut

Etre un fleuve

un océan

un gouffre

un aven sur le ciel

être la fange et la lie

dans laquelle germe

la vie.

lundi 10 novembre 2008

Alma de Saint Cloud











ALMA

La petite Alma de Saint Cloud
Est arrivée le 20 octobre, du ciel m’avait-t-on dit,
Du ciel ou de la terre, ça reste un beau mystère.
Et nous simplement de Belgique, petit pays voisin
Comme des mages frileux poursuivant la belle étoile
Sur les bords de la Seine.
C’est Tess le chat qui nous a ouvert la porte,
Il portait la clef à son collier,
Il miaulait d’une voix feutrée pour ne pas réveiller
La petite reine qui rêvait d’un pays lointain
Où tout le monde porte des noms à coucher dehors
Ou à dormir debout
Oseredzuk ou quelque chose comme ça,
Allez savoir.

Traduis-nous, Tess, dis-nous pourquoi
Ils s’appellent comme ça les gens de par là ?
De mémoire de chat, aussi longue que j’ai les moustaches,
Je n’en sais rien mais ils ont des prénoms que je comprend bien
Cécile qui chante et Arnaud qui peint, les deux grands
Rachel et Samuel les deux petits sages comme des images
Enfin, c’est ce qu’on dit car moi je n’en crois rien
Des enfants sages c’est triste et ennuyeux
Si vous voyez ce que je veux miauler.

Et il nous a tourné le dos
La queue droite comme un cierge de Pâques.
Antoinette et François derrière leur porte
Ecoutaient Tess sans respirer, tout guillerets.
La petite Alma, ils l’avaient vue déjà
Dans son berceau.

Ah ! quelle joie, la jolie princesse
Dont on dirait plus tard
Vous savez bien, la belle Alma
Celle qui est venue sans crier gare
Un jour d’automne et de soleil
Dans le cœur de ses parents
De la petite Rachel blonde comme les blés
Et de Samuel aux sombres mirettes de petit sorcier.

Alors, nous, on est
reparti comme les rois mages
Vers notre petit pays
Souhaitant tout le bonheur du monde à
La petite Alma de Saint Cloud.
J.B

mardi 4 novembre 2008

Où l'on reparle de la guillotine


Il y a quelques semaines, j'assistais aux funérailles d'une vieille cousine française (bien plus vieille que moi) et j'y rencontrai, entre autres membres de ma famille, Philippe Bonnefis, professeur de littérature française retraité de l'Université de Lille et professeur de littérature aux E.U d'Amérique. J'avais lu un de ses livres il y a quelques années. Son érudition et son écriture m'avaient déjà impressionné. C'était un livre sur la couleur bleue chez Giono "Le petit pan de mur bleu".
Au repas nous avons convenu de nous adresser nos livres par la poste, à titre d'échange. Ce qui fut fait dans la quinzaine suivante. J'ai terminé la lecture d'un de ses livres Sur quelques propriétés des triangles rectangles édité chez Galilée, 9 rue Linné à Paris, en faisant la file au Grand Palais à l'exposition Picasso ( deux heures, heureusement au soleil). Cet essai me passionnait, cela va sans dire. Même une clarinette nasillarde d'un musicien de rue ne parvenait pas à me distraire de ma lecture.
J'avais retrouvé le mot triangle comme dans Triangles de la Nuit des temps, une de mes premières publications poétiques (Memory Press) mais aussi un sujet qui ne pouvait que rappeler mon premier roman :"L'arbre des exécuteurs" dont-il a d'ailleurs abondamment été question sur ce blog, il y a un certain temps. Je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici la dédicace de Philippe. A Jean Botquin qui, si je m'en souviens bien, s'entend parfaitement à ces choses sombres.
Le petit livre de Philippe Bonnefis est un essai entièrement dédié au triangle rectangle dans la littérature du 19ième siècle en France, en particulier le triangle de sinistre mémoire qui modernisa la guillotine antérieurement dotée d'une hache convexe. Cette fameuse machine s'il faut en croire l'essai de Bonnefis fit révolution dans les lettres de ce pays. Plus récemment, au vingtième et même vingt et unième siècle elle fait encore parler d'elle. Notamment dans un roman de Sureau dont la version cinématographique serait, paraît-il, en préparation...à la grande gloire du bourreau parisien Deibler.
Donc (quatrième de couverture) le couperet avait la forme d'un croissant. Une tradition (...) veut que ce soit Louis XVI en personne (...) qui ait suggéré que le fer de la guillotine soit taillé en biseau, que ce soit Louis XVI lui-même,..., qui ait finalement obtenu qu'on renonce au demi-cercle en faveur du triangle rectangle...

Mieux vaut en rire qu'en pleurer.

Le tableau ci-dessus appartient à la collection de la Banque Bruxelles Lambert (actuellement I.N.G.). Il porte le titre: "Marie Antoinette escortée à la guillotine" Peintre Zuka. Cette photo est également reproduite dans les exemplaires dits de prestige de L'arbre des exécuteurs.

dimanche 2 novembre 2008

Le cimetière


Elle y va tous les jours. Souvent à la tombée de la nuit à cause des bougies qui tremblent dans la pénombre, parfois le matin tôt quand les montagnes sont encore bleues.

La tombe est insaisissable. Elle est sûre que la tombe se déplace au fur et à mesure qu'elle avance entre les rangées. Jamais elle ne la trouve du premier coup. Il faut marcher plus vite qu'elle ou la prendre à contresens, presque par surprise. Cette partie de cache-cache avec ses parents aurait été amusante si elle ne s'accompagnait de la souffrance de les perdre à nouveau ou de la joie insupportable de les retrouver. Généralement, le soleil est déjà très haut quand, enfin, elle découvre la pierre tombale avec les deux noms l'un en dessous de l'autre. Le soir c'est plus difficile. Il lui est arrivé plusieurs fois de devoir escalader la porte pour quitter le cimetière ou de se faire chercher par le gardien qui lui avait mis un doigt sur l'épaule afin de la faire sortir de sa quête. Une fois, il lui avait dit:"Je vous observe depuis plus d'une heure, vous n'avez pas bougé comme si vous attendiez que l'on vienne vous chercher." Elle avait pensé sans répondre:" Il se trompe, j'ai marché tout le temps." Même qu'à un moment, elle avait failli courir mais s'était retenue pour ne pas réveiller les morts qui dormaient. L'apparence ignore souvent la réalité. Elle savait qu'elle devrait revenir le lendemain pour refaire le même chemin et qu'elle aurait le même espoir et la même crainte. Il y a des gestes qu'on ne peut que recommencer toujours. On se demande pourquoi.

J.B.

La photo ci-dessus reproduit une allée du cimetière du Dieweg, à Uccle.voir www.pragstorage.com/photos_3/cimetiere_dieweg

C'est un des cimetières les plus romantiques de Bruxelles. Il n'est plus guère exploité et la nature l'envahit de plus en plus. Hergé y est inhumé.