mardi 29 septembre 2009

Un conte de Google Earth

Jean Botquin


Il était une fois. Il était: indicatif imparfait.
Tous les contes commencent comme ça, paraît-il.
À moins que le conte n’utilise, une fois n’est pas coutume, le futur antérieur, ce mode curieux qui appartient à la fois au passé et à l’avenir. Par exemple :
« Un jour ou l’autre, un château aura été édifié au sommet d’une montagne de glace qui surplombe la plaine où vivent, frileusement, l’ homme aux doigts d’or et ses héritiers aux doigts d’argent. »
Bon.
Allumons notre ordinateur.
Cliquons sur Google Earth .
La terre apparaît. Je l’agrandis, infiniment. Je tombe sur le château de la Belle au bois dormant. Il est complètement en ruines, seule la chambre d’apparat de la princesse a résisté aux méfaits de l’indicatif imparfait. Elle dort toujours d’un profond sommeil plusieurs fois centenaire, entourée de ses fées en pleine léthargie. Elle ne s’est pas réveillée, le Prince s’est trompé d’adresse.
Alors, allons dans l’Antarctique Sud, si vous le voulez bien, à la recherche de la montagne de glace et son château d’acier. J’adapte les angles d’approche du zoom sur l’immense étendue blanche qui remplit l’écran de mon ordinateur. Voilà que surgit la station antarctique belge Princesse Elisabeth , une vraie princesse, celle-là, pas une princesse de papier, de mots et de mensonges comme les princesses de Perrault.
Bien, mais ce n’est pas ce que je cherche.
Je continue ma prospection. Peine perdue, mon voyage d’internaute ne me fait plus rien découvrir d’autre qu’une plaine décevante sans château virtuel. Vous me direz que je m’y suis pris trop tôt. Soit, je le concède. Dans les contes au futur antérieur, il faut de la patience, il convient de laisser à la promesse le temps de se réaliser. Car, en effet, le futur antérieur ne peut mieux se comparer qu’à la promesse de quelque histoire qui n’existe pas encore et qu’il faut mériter en lui donnant le temps de naître. Donc, le château, si je ne l’ai pas encore trouvé sur Google Earth, c’est qu’il n’était pas encore édifié au moment où le satellite photographiait l’Antarctique Sud, bien qu’aujourd’hui il le soit peut-être, au milieu de la plaine éblouissante où vivent l’homme aux doigts d’or et ses héritiers aux doigts d’argent.
Je décide donc d’attendre, en toute confiance, les prochaines photos satellites de la prochaine mise à jour de Google Earth .
Combien de temps faudra-t-il patienter encore, me direz-vous, pour que s’édifie le palais d’acier transparent du futur agent 007, dix-septième du titre, surnommé James des glaces dormantes, parce que le sort l’aurait conduit, dès sa prime adolescence, à subir l’hibernation la plus longue de l’histoire de tous les agents secrets britanniques, avant l’accomplissement de l’ultime et unique mission antarctique contre son ennemi redoutable Goldfinger Treize ?
À mon tour de vous demander d’où vous tenez ces informations que, sauf erreur, je n’avais pas encore divulguées alors que je brûlais d’envie de le faire. Bien évidemment, le mode du futur antérieur présente un avantage certain par rapport à celui de l’indicatif imparfait. Le lecteur est donc partie prenante d’un conte en évolution et de promesses constamment renouvelées, alors qu’à l’imparfait plus rien ne bouge.
Tous les jours donc, je clique sur mon favori Google Earth et j’effectue le même voyage dans l’hémisphère Sud, au pôle du même nom, à l’affût de virtualités nouvelles, jusqu’à ce que, enfin, apparaisse le futur devenant présent.
Plus loin, beaucoup plus loin de la station belge Princesse Elisabeth, le blanc étincelant de la plaine est devenu gris. Une crête rocheuse crève la glace. Des fourmis en uniforme s’affairent, de manière impérieuse mais désordonnée, me semble-t-il. On construit quelque chose,sans doute le palais que j’attends et que vous attendez aussi. Le merveilleux s’est introduit dans Google Earth, l’improbable et l’impossible . Ce qui était stationnaire bouge. La photo s’est transformée en film-vidéo. Le satellite travaille en liaison directe et permanente avec mon favori. Extraordinaire, aurais-je dit, si je n’avais banni ce mot de mon vocabulaire, le jour où j’ai décidé de ne plus m’étonner de rien. Nous savons que depuis que l’homme a marché sur la lune, le conte a pris un mauvais coup dans la mâchoire. La fiction est plus réelle que la réalité, les challenges de la science sont dépassés les uns après les autres.
Maintenant, quand je zoome, je vois même à l’intérieur du conte qui s’écrit et les personnages se dessinent clairement sur mon écran. Voilà mes fées, celle de la K.G.B. avec ses fourrures qui la parent bien contre le froid ; celle de la C.I.A., complexée, genre experte Miami au large décolleté, glacée jusqu’à la moelle ; celle des services secrets français, hautaine, habillée comme la parisienne de Knossos ; l’anglaise à la peau blanche couverte de taches de rousseur et les seins retroussés ; une fée en burka, au regard ténébreux, au service des Ayatollah ; la fée des paradis fiscaux, ruisselante de perles fines ; et quelques amazones de moindre importance, pièces de rechange en cas de panne financière.
Laquelle d’entre elles aura provoqué l’entrée du dix-septième 007, à l’âge de quinze ans, dans le processus d’hibernation généralisée du palais d’acier congelé ? Difficile à dire car les fées du futur antérieur respectent rarement leurs allégeances naturelles et passent facilement d’un camp à l’autre selon l’inspiration du moment et leur besoin de séduction. Ne seraient-elles pas toutes, chacune à sa manière et selon les circonstances, à la solde de Goldfinger, grand responsable de la crise financière du désert antarctique ? On ne peut, à ce stade, demander à Google Earth d’aller plus loin dans l’investigation, par exemple des consciences et des motivations, du moins provisoirement. La question reste donc ouverte, l’absence de réponse pouvant, en l’occurrence, être négligée.
Entretemps, de jour en jour, d’heure en heure, le palais virtuel s’agrandit autour de la chambre de James aux glaces dormantes. Je perçois des signes de connivence quasi imperceptible de certaines fées. Il est vrai que mon œil s’est exercé depuis longtemps au décodage numérique des sentiments. Depuis hier, la fée iranienne a ouvert sa burka sur un visage sublime à la bouche pulpeuse, dont le baiser incisif, je le devine, rendra à James la chaleur excitante de sa virilité engourdie. Il pourra enfin partir à la recherche de Goldfinger treize réfugié au dernier étage de la Banque des prêts immobiliers, la B.P.I., derrière une porte blindée de glace inoxydable d’où il manipule les cours de bourse, à coups de pincettes d’opérations à découvert.
Quelques jours plus tard, j’assiste à un combat singulier entre James et Goldfinger. Ce dernier se défend âprement dans sa chambre forte. Sa porte s’est ouverte, malheureusement pour l’homme aux doigts d’or, par un jeu de rayons électroniques de la dernière mise à jour de Windows Vista, à huit heures trente, heure de Greenwich Antarctique Sud, parallèle zéro. Il s’en est suivi un corps à corps effrayant. James est doté de gadgets offensifs et défensifs d’une inventivité incroyablement britannique. Les fourmis militaires sont écrasées par milliers, au point de ne plus former qu’une seule matière gluante impropre à la consommation culinaire. Le sang gicle sur mes lunettes, les cours de bourse s’effondrent , en particulier ceux de l’action privilégiée de la B.P.I., la chaleur des rayons de la mort fait fondre une partie de la calotte glacière, créant une raison supplémentaire à Nicolas Hulot de se plaindre du réchauffement climatique, les résidents belges de la station antarctique plient bagage pour aller prendre le soleil à la plage, tandis que les phoques quittent les falaises pour rejoindre leurs cousins de la baie de Somme.
Quel spectacle extraordinaire aurais-je dit si je n’avais banni le qualificatif extraordinaire de mon vocabulaire.
Bien.
Je nettoie mes lunettes et l’écran plat de mon ordinateur qui dégouline de glace fondue et de sang visqueux afin de pouvoir visionner proprement le baiser langoureux de James 007 des glaces dormantes (qui ferait bien de changer de matricule et de nom) avec la fée de la K.G.B. qui a troqué ses fourrures pour une nuisette en pétrodollars transparents, échancrée profondément sur une poitrine de forme hallucinante.
Vraiment, Google Earth prend de plus en plus de libertés avec la vérité historique, grâce au futur antérieur.
James a pris quelques années de plus, sous l’effet conjugué des regards ensorcelants - haute résolution - des fées qui, depuis l’agonie désinvolte de Goldfinger sur mon écran, ont toutes opté pour le charme irrésistible de James 007, dix-septième du titre, et mouture nettement plus réussie que ses seize prédécesseurs. Par ailleurs, il est ainsi démontré qu’il faut toujours se méfier des personnages féminins dans les contes à dormir debout.
Ouvrant, une fois de plus, mon ordinateur sur le favori de mes favoris, je découvre la fin de ce conte, tiré par les cheveux. Tandis que ma webcam me renvoie une image indéchiffrable, composée de signes numériques de forme parodique.


Cette parodie de conte a été publiée, en tant qu'exemple sur le site www.leaweb.org du Concours international d'écriture pour adolescents. - Atelier de Lecture ASBL Montégnée. Belgique

jeudi 3 septembre 2009

Emile Kesteman Vice-Président de l'A.E.B. dans NOS LETTRES août-septembre sur La Chambre noire du calligraphe.

"Jean Botquin est un esthète. Pour ce faire, il adore sortir de son coquillage. Il y a une différence très nette entre les premiers haïkus et ceux de la seconde manière. Piet Lincken, qui a rédigé un avant-propos, précise bien les choses.

Les nuances sont subtiles entre ce qui est aphone et coloré. En tous ces textes, l'âme vibre imperceptiblement. Le mot est présenté dans son expressivité provisoire et découvre sa finalité dans sa propre floraison. Parfois le lecteur a l'impression que le désordre se décompose et mène à l'ordre. Cet ordre est plus souvent nouvelle harmonie Et parfois on pressent l'esprit des haïkus de la seconde partie quand la vie cherche la trace de la mort. Il y a dans cette seconde partie plus d'âpreté. Mais Jean Botquin ne quitte jamais ce monde de coquillages et de leurs contournures orientales!"

mardi 1 septembre 2009

Art et Saveur à Saint-Denis en Broqueroie les 29 et 30 août 2009











Et en attendant la "foule" quelques réflexions sous forme de haïku:
Lire un livre
Que l'on oublie aussitôt
Qu'on le referme
Les gens du soleil
Passent à l'ombre des mots
Inconsolables
Il pend ses bons mots
Comme du vieux linge troué
Au fil d'un rasoir
Elle n'approche pas
De peur qu'un livre ne lui
Morde l'oreille
Toutefois le soleil
N'a pas noyé l'écriture
Qui coule à flots
Personne n'entre
Plus dans l'antre des paroles
Au goût de miel
J.B. 30 août 2009