lundi 24 août 2009

Mystère de papier de Peter Gentenaar
















Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer quelques clichés des créations de Peter Gentenaar qui habitent de leurs âmes les voûtes flamboyantes de l'Abbatiale de Saint-Riquier en pays de Somme, à quelques km d'Abbeville. Une exposition qui se termine le 19 septembre, il est encore temps de vous y rendre avant de vous balader dans la baie à la recherche des phoques et de la passe-pierre ( autre appellation pour la Salicorne). Ces créations aériennes se passent de commentaires. Leurs nervures se marient très heureusement avec celles du gothique du XVI siècle. Un régal pour les yeux.
Peter Gentenaar est hollandais. Il est né le 13 novembre 1946 à Rijswijk, aux Pays-Bas.
Il décrit son travail comme suit:
"Mon amour de la nature et de la matière, conjugué à ma connaissance des techniques picturales, ont façonné mon travail artistique. J'ai découvert dans la fibre de papier un matériau proche de la nature qui comble toutes mes attentes. Lentement, je suis passé de l'utilisateur de papier à fabricant de papier et de fibre (j'ai construit ma propre machine) et réalise formes et configurations dans ce matériau.
En maîtrisant au séchage les tensions et les contractions de la pulpe et de fines ossatures de bambou, le papier s'enroule comme une feuille d'automne, générant des sculptures pouvant atteindre de grandes dimensions, monde fantômatique porteur de rêve."

dimanche 23 août 2009

Inédit 234 parle de "La chambre noire du calligraphe"

" Et voilà le dernier de ces poètes "d'aujourd'hui" nés trop tôt (six ans de moins que moi, en 1932) que je fais figurer avec audace dans le siècle XXI, Jean Botquin, dont j'ai souvent eu le plaisir de recenser des livres (Inédit 115, 131, 165, 185, 185, 187 et 221). Écrivain très divers, mais toujours de bel aloi et de plus à l'écriture vive, il nous présente cette fois un recueil de tercets que lui-même ne prend pas pour de vrais haîkus ou rengas, mais qui y ressemblent, La Chambre noire du calligraphe. C'est d'autant plus amusant qu'il y a imprimé sa personnalité, ce qui est même mieux que d'imiter les japonais classiques! Je ne résiste pas au plaisir d'en citer de parfaits selon moi:

Être transporté
Au-delà des paroles
Qui nous enflamment

L'imagination
Exerce sa puissance
Sur l'esprit des nuits

ou, moins sérieux:

Pose les lèvres
Au milieu de la rose
En circonflexe

Le préfacier Piet Lincken ne s'y est pas trompé en s'amusant à rappeler l'histoire japonaise de ce genre de poèmes. Il peut suffire de peu de mots pour atteindre la poésie et Shiki n'a pas imité Buson!
Ed. du Cygne, 4 rue Vulpian, F75013 Paris) "

Paul Van Melle, L'inédit Nouveau.

lundi 17 août 2009

Mon Amour (Lettre sans destinataire)


Mon Amour,

Sous les branches de mon cèdre, je vous écris. Le vent est tombé, la chaleur me fait penser à vous qui savez m’en entourer. L’ombre du cèdre que j’ai choisie pour vous écrire cette lettre est celle dans laquelle nous avons eu notre dernier échange avant que vous ne partiez. La même douceur, la même lumière. Vous vous souvenez ? Il faisait un temps magnifique. Les collines, au loin, fuyaient, de courbe en courbe. On voyait les brumes monter des vallées. Bientôt elles s’étendraient en couches irrégulières teintées de safran et de pourpre sous les derniers rayons de soleil.
Toute la journée nous avions tu notre tristesse, nous donnant le change afin de ne pas ternir les instants précieux que nous avions la chance de vivre encore. Nous nous étions levés tôt, écourtant nos moments de tendresse passionnée du lever du jour. Vos regards embués m’avaient prévenu des heures fragiles qui risquaient d’abîmer nos prochains souvenirs. Nous avons choisi la sagesse de ne pas verser dans le mélodrame.
Vous avez arboré cette robe blanche bordée de dentelles que j’ai si souvent pris plaisir à faire glisser à vos pieds mais que je ne vous ôterais pas à nouveau, gardant en mémoire votre apparition nacrée que tant de fois j’avais baignée dans mon désir amoureux.
Refuser de vous toucher, inventer des caresses dans la subtilité de nos pensées, nous promener par les allées flanquées de cyprès disciplinés comme en Toscane, en nous donnant la main à la manière de ces gens en vacances, boire un verre de vino nobile rafraîchi à la terrasse d’un hôtel qui nous avait accueilli en des moments de passion urgente et me contenter de la douceur de vos sourires émerveillés.
Avons nous réussi à tenir notre pari silencieux, à respecter notre souffrance en la remplaçant par cette sérénité nouvelle que nous devrons apprendre à vivre et que nous adoptions déjà en ces quelques heures précédant votre départ ? Je le pense.
N’attendez pas trop longtemps avant de m’écrire. J’ai hâte à redécouvrir votre écriture serrée aux jambages minuscules, aux lettres qui s’épousent dans une sorte d’impudeur pour former des mots dont la beauté me bouleverse.


En attendant de vous revoir, j’irai retrouver notre cèdre, souvent. Je n’irai pas graver nos initiales ni clouer votre cœur dans son écorce. Je lui parlerai comme je vous écris.
Et il me répondra.

Je vous aime.

Agenda août-octobre 2009

Arts et Saveurs 2009 - Abbaye de Saint Denis en Broqueroie- Soignies Casteau:
Les 29 et 30 août de 10 h. à 18.30 présentation de mes livres au salon d'exposition littéraire du marché du terroir et dédicaces, notamment "La chambre noire du calligraphe" paru en juin 2009.

Fureur de Lire- Bibliothèque de Binche:
Le 15 octobre à 16 heures rencontre avec Martine Paternotte et Jean Botquin et lectures de textes de"Le destin des Mesville" (M.P.) et "La gondole de l'orient Express" (J.B.)

Soirée des lettres A.E.B. Maison des Écrivains 150 chaussée de Wavre Bruxelles:
Le 21 octobre à 18 heures, présentation par Piet Lincken et Jean Botquin de"La chambre noire du calligraphe".

lundi 10 août 2009

KIKI 3




Bientôt Kiki s'est retrouvée toute seule. Sa mère tuée dans notre rue, ses frères disparus, ses grands parents disparus. Elle gardait cependant quelques amis et prétendants qui lui faisaient la cour mais surtout essayaient de conquérir une partie de son territoire. Elle ne s'éloignait jamais loin de notre jardin. De temps en temps, on lui laissait un peu de nourriture, pas trop pour qu'elle continue à se débrouiller, à chasser. Quand nous rentrions, par exemple de voyage, elle nous attendait en miaulant. Nous la récompensions avec quelques friandises. Ce n'était pas vraiment une chatte domestique mais il existait une espèce de lien entre elle et nous. Elle aimait jouer avec les pies, un couple qui dansait autour d'elle quand elle prenait le soleil sur la pelouse, l'air de rien. Elle ne les aurait pas attaqués car elle était trop petite pour le faire. D'ailleurs, nous avons toujours pensé qu'une de ces pies lui avait abîmé une oreille, et qu'elle avait retenu la leçon. Elle ne fuyait plus quand nous allions vers elle, à condition de ne pas esquisser une caresse. Parfois, quand la porte de la cuisine était ouverte, elle s'aventurait prudemment à l'intérieur, sans doute pour susciter une réaction de notre part, puis elle sortait en nous tournant le dos.


Quand nous avons prolongé la maison par une pergola, il nous a semblé qu'elle a cru que nous lui avions construit une maison, pour elle seule. Elle s'y est installée. Ses copains jaloux venaient la voir du haut du muret qui borde la terrasse. Elle les surveillait depuis le banc où elle passait de longues heures. Comme elle quittait de moins en moins le jardin, nous avons commencé à la nourrir un peu plus souvent. Nous étions pris dans un cercle vicieux.


Le dernier hiver a été très froid. Nous ne voulions pas qu'elle meure de froid, aussi nous lui avons construit une niche chaude, protégée du vent. " Uniquement pour la durée de l'hiver, mademoiselle Kiki, cette chambre à coucher n'est pas définitive, et pas question d'y inviter des copains. Au printemps, retour à la nature ! "


Elle est morte au début du mois de juillet. Quel âge aurait elle aujourd'hui ? Plus de sept ans, selon de vieilles photos de nos albums que j'ai parcourus après son décès.


Pendant plusieurs jours, elle avait disparue. Elle ne revenait pas. Nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. Quand elle a réapparu dans le jardin, nous l'avons appelée. Elle n'entendait plus son nom. Ses oreilles ne se dressaient pas à notre appel. Nous avons essayé de la faire boire un peu, et manger. Elle ne portait aucune marque de blessure mais avait beaucoup maigri. Elle miaulait faiblement, se traînait complètement épuisée comme si elle revenait d'une marche de centaines de km. Elle s'est assoupie sous le houx où elle n'allait jamais.


Le lendemain matin nous l'avons trouvée, raide déjà, sous le grand réservoir d'eau de pluie où nous avions, sept ans plus tôt, hébergé toute la nichée de Tigresse.

mardi 4 août 2009

KIKI 2


Derrière la maison, à côté du garage, nous avons aménagé un nid dans de vieux cartons et chiffons, pour Tigresse et les quatre chatons. D'ici l'hiver, ils auraient grandi et trouvé à se loger ailleurs dans le voisinage car nous n'avions pas l'intention de les garder chez nous. Les deux petits blancs étaient particulièrement volages et délurés. Ils eurent tôt fait de réduire leur logement en charpie.
Nous n'avions pas de sympathie pour Tigresse sur qui planait un doute dans l'affaire de l'assassinat du lapin. De plus, elle était autoritaire et n'était
pas gentille avec Kiki qu'elle tenait un peu à l'écart des autres.
Elle lui donnait des coups de patte sournois. Kiki n'avait d'ailleurs jamais droit qu'aux restes de nourriture de ses frères. Sur une photo, on la voit, en retrait, assister aux ripailles familiales. Aussi grandissait-elle plus lentement.
Je suppose que les trois chatons se sont fait adopter dans d'autres familles du quartier.

Ils revenaient jouer de temps en temps dans le saule ou le pommier. On les voyait traverser les rues adjacentes, parfois au péril de leur vie.
Kiki ne quittait pas sa maman qui pourtant n'était pas tendre avec elle. Je ne me souviens plus du temps que dura son enfance car sa taille était plus petite que celle de Tigresse. Chats sauvages, ni l'une ni l'autre ne se laissaient approcher. il ne fallait pas essayer de les caresser. Vint le temps où les mâles du quartier se donneraient rendez-vous dans notre jardin autour de Kiki qui userait de son charme tout en se refusant. "Tu vois comme elle les provoque. Toutes les mêmes. Une allumeuse, ta petite Kiki!"-" Tu n'y connais rien aux femmes, répondait ma tendre épouse". Quant aux trois autres, ils disparurent avec le temps, soit qu'il leur était arrivé malheur - les chats sauvages ne vivent pas longtemps, ils se font enlever par la fourrière avec la fin que l'on devine -, soit qu'ils aient suivi leurs parents adoptifs vers d'autres cieux pas nécessairement plus cléments.

Il me semble que Kiki était bien plus attachée à nous et à la maison que sa mère. Elle pouvait nous observer à travers la porte vitrée ou la fenêtre de la cuisine pendant de longs moments. Elle n'exigeait rien sans espérer toujours. Même quand la porte était ouverte, elle n'entrait pas. Son regard humide implorait notre amitié qu'elle ne pouvait reconnaître que dans le geste de la nourrir, parcimonieusement. Nous avions choisi de ne pas lui enlever sa liberté, de lui laisser le choix d'aller et venir, de garder son statut de chatte sauvage qui n'appartenait qu'à elle-même. Malgré cela, elle nous restait fidèle. Il suffisait de l'appeler pour qu'elle apparaisse, comme par miracle, sur le toit de la serre qu'elle dévalait à toute vitesse.


Tigresse s'est fait écraser au carrefour, près de chez nous, la veille d'un W.E. où nous avions invité nos enfants et petits enfants. Nous nous sommes empressés d'enlever sa dépouille couverte de sang, pour éviter que les autos ne continuent leur horrible travail. Beaucoup de chats sauvages finissent comme ça dans nos villes surpeuplées d'animaux. Peu de temps après sa fin tragique, quelqu'un est venu sonner à notre porte.

-C'est à vous , ce chat ? Il était sur les marches, il veut entrer chez vous.


-Non, mais je le connais.


Effectivement, je l'avais reconnue. La grand-mère, la maman de Tigresse. Fidèle à mon attitude je ne lui ai pas permis d'entrer dans le couloir mais lui ai ouvert la porte du jardin. Elle me donnait l'air de vouloir quelque chose. Revenait-elle sur les lieux du crime ou cherchait-elle sa fille disparue ? Pourquoi n'avait-elle pas emprunté le chemin que tous les chats du quartier connaissent par coeur ? Elle est partie dans les taillis et je ne l'ai plus revue. Á ma connaissance elle n'es plus jamais revenue. Ma femme, à la suite de ce qu'elle appela une intrusion, opta définitivement pour l'hypothèse du meurtre du lapin par l'ancêtre de Kiki. En tous cas, je ne crois plus que les liens de famille, chez les chats, disparaissent dès qu'il sont adultes. De plus les animaux sont dotés d'intelligence. J'ajouterai que s'ils n'ont pas d'âme, les humains n'en ont pas non plus.


(A suivre)

dimanche 2 août 2009

KIKI







Il était une fois un grand jardin visité par tous les chats du quartier. Une espèce de parc public pour chats sauvages ou abandonnés, des chats sans colliers. On les baptisait: anthracite, un petit noir naturellement, roussillon, un rouquin taché de blanc, blanche neige, une chatte immaculée avec des airs de reine, le boiteux, un gris bleu avec une patte raccourcie, le cousin, un tigré à la grosse tête de matou, un couple qu'on appelait les grands parents, vous découvrirez bientôt pourquoi. Tous ces chats apparaissaient et disparaissaient à tour de rôle, selon les jours ou les heures de la journée. Il y en avait du matin, de l'après-midi, du soir et de la nuit. Nous ne faisions rien pour les attirer. Aucune clôture n'est infranchissable pour un chat.
Nombre d'entre eux venaient de jardins voisins, en passant sur le toit courbé de notre vieille serre. Rien de plus facile.
Un matin, entrant dans la cuisine, nous vîmes un couple de chats plus âgés, installés sur le paillasson, derrière la porte vitrée. Ils regardaient à l'intérieur avec une curiosité manifeste. Quelle impertinence ! Ils ne sont partis que lorsque ma femme ouvrit la porte pour se rendre dans le jardin. Ils avaient l'air satisfaits, comme des chats qui ont découvert ce qu'ils voulaient. Quelques jours plus tard, ils sont revenus accompagnés d'une chatte au ventre tout rond que nous n'avions jamais vue et qui ressemblait à s'y méprendre à la femelle du couple.
"On dirait qu'ils veulent nous faire adopter leur fille qui attend des petits, avait dit ma femme." Je pense qu'elle avait vu juste. Elle connaît bien la gent féline. "Pas question, ai-je répondu."
Dans la suite, la petite maman chatte est revenue régulièrement seule, la panse de plus en plus grosse. Jusqu'au jour où son ventre reprit, pfuit, son volume d'avant et son élégance.
De temps en temps, nous lui donnions des restes de viande qu'elle s'empressait d'emmener dans sa gueule. Elle courrait sur le toit de la serre vers celui d'une masure dans lequel elle disparaissaît illico presto. "Elle apporte à manger à ses petits, affirmait ma femme." Ce petit jeu continua un certain temps.
C"était une jolie chatte tigrée, avec des pattes et une bavette blanche. On ne lui a pas donné de nom. C'était pourtant contraire à nos habitudes. Quasi tous les chats qui franchissaient l'enceinte du jardin recevaient un nom en guise de carte d'identité. Pourquoi ne pas l'avoir nommée tigresse, par exemple ?

Un jour d'automne, le jardinier qui vient élaguer les arbres chaque année frappa à la porte de la cuisine:
- Monsieur, c'est normal qu'il y ait un lapin dans les taillis ?
- Un lapin ? Non, nous n'avons pas de lapin. Vous êtes sûr ?
- Mais, oui, venez voir.
Effectivement, il y avait un joli lapin roux aux yeux bruns et oreilles blanches qui se cachait sous un rhododendron. Que faisait-il là ? Nous ne mîmes pas longtemps à comprendre. C'était la fête dans le quartier, à la foire du parc de la commune, le public pouvait gagner des petits lapins vivants plutôt que des lapins en peluche. Que fait-on avec un lapin qu'on ne peut ou ne veut garder ? On s'en débarrasse dans un grand jardin. Et voilà la solution du mystère.
Pauvre petit lapin, il n'a pas vécu longtemps. Nous l'avons retrouvé le lendemain matin, égorgé comme un vulgaire moineau. Assurément, c'était l'oeuvre d'un chat. Lequel ? Seule celle qu'on aurait pu nommer tigresse avait un mobile. Défendre la place future de ses enfants dans le jardin. "Mais non, disait ma femme, ce sont les parents qui ont commis cet acte, la petite mère est incapable de perpétrer un meurtre pareil."- " Crois-tu ? ai-je répondu. Où est-elle cette marmaille qu'on ne veut mettre en concurrence avec un lapin?"
La marmaille ne se fit plus attendre. Tigresse, appelons la comme ça définitivement, alla chercher ses quatre marmots, un par un, dans le toit de la masure et les déposa sur le paillasson face à la porte de la cuisine. Deux petits blancs avec des taches grises, un chaton tigré des pieds à la tête, et une mignonne petite chatte tigrée à pattes blanches et bavette de la même couleur, le portrait tout craché de sa mère et de sa grand mère, une minette qu'on désignerait sous le nom de Kiki plus tard.
(à suivre).