jeudi 30 janvier 2014

Le carrousel.

Le carrousel
Sur le cheval, le blanc aux yeux d'ivoire, la licorne aux ailes d'ange, tu montes et tu descends, en tournant. tournant toujours d'un tour à l'autre. Et tu tournes dans les miroirs où je te vois autant de fois, mille fois, je crois, dans ma mémoire. Tu apparais puis disparais, mes yeux te suivent, te poursuivent. Jusqu'où pourront-ils te voir à chaque tour et te revoir ? Seule sur le carrousel, tu montes et tu descends. Ton rire éclate, tu tournes dans ma tête aux sons des orgues foraines, tes cheveux dansent, tes reins se cabrent. Chaque fois tu pars et tu reviens, tu entres, tu sors de la lumière, tu viens du rêve. la nuit te va, ton sommeil traîne dans ma mémoire. Où suis-je donc? Où es-tu donc dans cette ronde qui n’en finit pas. Ton sourire passe. Tu passes, tu tournes. Tu te détournes, tu fuis, tu t'échappes rivée à ce cheval ailé qui ne peut s'envoler puisqu'il est de bois.

J.B. in « Le Front Haut » p.20
 — à Photo prise sur le front de mer à Arcachon.

lundi 27 janvier 2014

Je me promène dans un quartier de lune.

Je me promène dans un quartier de lune

Je marche devant la maison à la lumière d’ombre
Les volets scintillent sous le soleil aux rayons brisés
Paupières closes filtrant une sérénité mensongère
Site piétonnier où passe la procession rouge des distraits
J’appelle les silences ronds fruits d’outre-tombe
J’appelle les larmes des tendres colombes d’hier
Dont les ailes égratignent mes souvenirs
Plus loin je monte à l’échelle des rêves
Je me souviens des lettres d’amour
Que tu épinglais au revers de l’espérance
Autant de parcelles de printemps dans mes rides perdues
Autant d’oubli des aurores sur le seuil
De la grande porte hivernale encore fermée
Dans mes yeux des nuées tapageuses
Des baisers comme des friandises outrepassées
Les fenêtres s’écartent des murs
Au son de la canne de l’aveugle
J’avance plus loin
Et pousse mon cœur dans ce patio
Où repose l’écrin de ma nostalgie

J.B.

samedi 18 janvier 2014

Il lui avait coupé les ailes

Il lui avait coupé les ailes
Parce que le vent était trop fort
Et les girouettes à l’orage

L’arbre se courbait
Les portes craquaient
Les soupentes frémissaient
Les volets claquaient contre les murs

Ils avaient revêtu leur cape de solitude
La pluie inondait leur visage
Et leurs paupières meurtries

Ils jouaient aux nuits blanches
Poussaient des pions écarlates
Déchiraient leurs draps pour sécher
Leurs larmes coulant vers les ruisseaux

Ils se baignaient nus dans des orgies verbales
Ils creusaient des sillons dans la terre détrempée
Et y enterraient des parcelles d’enfer

Autour le désert dressait des colonnes lustrales
Taillées dans le sel de Sodomes pâlies
Les mensonges se balançaient
Aux bras des squelettes de la nuit

Quelque part l’amour fuyait
Abandonnant la lutte et les tumultes
Vers le lever d’un soleil oublié

Jean Botquin

lundi 13 janvier 2014

A l'époque.

A l’époque
Les arbres nous étreignaient
Nous caressaient de leurs branches de velours
Croyez-moi
Ils étendaient leur chevelure sur nos corps nus
Ils nous faisaient l’amour
Avec l’impatience des anges
Et des roses écarlates
Ils nous rendaient fous de turgescences inconnues
Ils nous creusaient pour mieux nous épouser
De leurs feuilles insidieuses
Ils portaient des rêves
Sur leurs sommets enneigés de fleurs
Parfois ils se vêtissaient de regards
Pour exprimer leurs désirs incompréhensibles
Croyez-moi

Mais certains passaient sans voir l’amour
des arbres germer
derrière la verdure qui les cachaient

Ils passaient et continuaient leur chemin
Dans l’obscurité et l’ignorance

Jean Botquin

samedi 11 janvier 2014

Spleen


Espérance
Cap des noyades
Sinistre dans ta beauté sauvage
Délire aux confins des terres

Nos raz-de-marée s’engouffrent
Au-delà des mémoires de la mer morte
Les rives s’écroulent avec nos souvenirs
Les nuits appareillent

Les amarres trop courtes
Sont levées
Nous sommes des navires dépareillés
Au bord des déroutes

Les jardins se flétrissent au printemps
L’étang desséché se crevasse
Le temps inaltérable fléchit nos attentes
Les solitudes verdissent l’inutile

Qui a dit que la joie
Galopait sur les flots démontés
L’automne est mort et je sais
Que  l’hiver est éternel


Jean Botquin

mardi 7 janvier 2014

Le clown.

Le clown

Le clown a bu et pleure de rire
Le clown pleure et boit son délire
qu’il aspire, faut-il le dire
à faire jaillir aux cris de sa clarinette
en bouche à bouche mélancolique
dans le halo de son dernier tour
Le clown rit et pleure son verre
vide qu’il remplit amer
pour le cracher, c’est ridicule
dans l’entonnoir avide
de son désespoir minuscule
Le clown soutire et c’est bien pire
Toutes les sornettes sempiternelles
de son petit réticule vert
à peine plus grand qu’un testicule
Il les prodigue, le clown
ses balivernes ses ritournelles
ses récidives rotatives
en gestes énormes et difformes
au-dessus des têtes amusées
des spectateurs désorientés
Le clown vacille sur ses échasses
en vrille en chasse, c’est dégueulasse
comme un habit qui se met à glisser
de son épouvantail et par terre se tasse
Sens dessus dessous il se ramasse
Et se déloge seul vers sa loge
où seul il rit et pleure de peur
en grimaçant, ah! quelle horreur

J.B. in « Élégie pour un kaléidoscope ». 

vendredi 3 janvier 2014

Nouvel extrait de mon roman "La blessure de l'obsidienne"

Nouvel extrait de mon roman "La blessure de l'obsidienne"


Quatrième lettre à Franz Kappus

Ils sont descendus, elle a ouvert la fenêtre, elle s'est mise sur le lit, Jacques s'est assis à côté d'elle. Il s'est déshabillé le premier, trois pièces seulement, le pantalon de toile, la chemisette, le slip. Elle aussi, les jeans qui avaient laissé une marque rouge à la taille, le tee-shirt, la petite culotte qui termina sa course en boule au pied du lit. Ils restèrent sous la douche, longtemps, d'abord sans bouger, puis en tournant lentement sur eux-mêmes les mains nouées comme en prière, les visages confondus dans le giclement de l'eau, leurs respirations soudées. Ils se taisaient encore. Ils ne pouvaient parler, leurs coeurs battaient dans leurs corps transis. Leurs mains glissaient, leurs courbes s'épousaient. Et tandis que leurs ventres se creusaient, un chant brûlant les unissait.


Il y a trop longtemps, viens,
lentement, viens, lentement, oui, viens, comme ça,
non, viens, autrement, vite, oui, viens plus vite,
autrement, encore, reste, oui, reste, ne bouge plus, ne bouge pas, comme un navire, comme un torrent, comme un arbre de vie,
épines, feuillages, écorce où s'agrippent les griffes de l'écureuil,
les griffes légères, rapides, insistantes,
comme une envolée d'oiseaux, comme un essaim de paroles, comme une ruche de caresses.


Alors, quand ils se furent apaisés, ils pensèrent tous les deux au texte de Rainer Maria Rilke qu'ils avaient lu pendant le voyage et qu'ils ne pouvaient oublier, ni l'un ni l'autre :

"En une seule pensée créatrice revivent mille nuits d'amour oubliées qui en font la grandeur et le sublime. Ceux qui se joignent au cours des nuits, qui s'enlacent, dans une volupté berceuse, accomplissent une oeuvre grave. Tous ils appellent l'avenir. Et même quand ils font fausse route, quand ils sont aveugles dans leurs étreintes, l'avenir vient."

Sans doute étaient-ils aveugles et ivres d'une joie obscure. Ils ne savaient rien de ce qui les attendait. Où iraient-ils après cette première nuit ? Personne ne pouvait dire s'ils faisaient fausse route. Ils ignoraient tout d'un avenir possible. Ils ne se connaissaient pas encore et croyaient tout savoir de l'autre. Ils étaient étonnés que cela soit arrivé, d'un coup, simplement parce que leur solitude était trop lourde, et sûrs que cela leur arriverait, grâce à Trébizonde et à Urfa, grâce au fait qu'ils s'étaient à peine parlé et qu'ainsi ils s'étaient tout dit. Oui, ils étaient aveugles de leur âge et de leur passé, aveugles de leur premier mariage détruit qu'ils pensaient pouvoir abandonner derrière eux comme une peau de chagrin, comme le corps d'une chienne cancéreuse jusqu'à la moelle épinière et qu'ils auraient choisi de libérer de la souffrance.
Plusieurs fois, au cours de cette longue nuit, ils retournèrent sous la douche et, sans s'essuyer, refirent l'amour.

Quand le jour commença de rosir au-dessus des toits, Jacques quitta Tania-Maïté. Il alla jusqu'à la terrasse de l'hôtel. Il regarda la ville encore assoupie et les lumières qui, ça et là, s'allumaient.

Photo prise en Cappadoce (Turquie).

Nouvel extrait de la blessure de l'obsidienne.

Un extrait de "La blessure de l'obsidienne" Roman paru en décembre 2000.

À un moment, le secrétaire de la ville de Nantes lui dit qu'il fallait préserver l'énergie amoureuse.
- Elle est au centre de la création. Cette énergie existe en soi. Chaque fois elle renaît quand on croit l'avoir perdue. Sans amour, les livres meurent avant d'avoir vu le jour de l'écriture, sans amour, les jours sont sans lumière.
Malgré le raki, les mots qu'il prononçait gardaient leur force, leur poids de mystère. Jacques l'observait, découvrait en lui, une nouvelle fois, le ton prophétique de Rilke. Cet homme parlait peu de lui-même. Jacques ne savait rien de lui, sinon cette force fascinante qui tour à tour l'attirait et le repoussait..

Jean Botquin.

Photo prise en Cappadoce, région où se déroule ce bout de conversation.

La blessure de l'Obsidienne. Mon deuxième roman (Extrait)

La blessure de l’Obsidienne. Extrait p. 62-63 Deuxième roman de J.B.

Jacques se leva le premier de table. Il alla s'appuyer au parapet de
la terrasse. Au bas de l'hôtel, les rues étaient vides. Il tenta d'imaginer à quoi Van pouvait ressembler mais la ville ne livrait pas ses secrets. Quelques voitures glissaient lentement et presque sans bruit dans les rues mal éclairées. Il descendit dans sa chambre.
Yvette sanglotait dans la salle de bains. De fatigue, fit-elle quand elle se fut reprise. Les journées étaient beaucoup trop longues. Elle n'en pouvait plus. C'était ce qu'elle invoqua comme raison.

Septième lettre à Franz Kappus

Les larmes d'Yvette guidèrent nécessairement Jacques vers la septième lettre, écrite à Rome le 14 mai 1904. Après un développement introductif comme en contiennent toutes les lettres, Rilke aborde les thèmes de la solitude et de l'amour en disant que tant l'une que l'autre sont difficiles." L'amour d'un être humain pour un autre, c'est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c'est le plus haut témoignage de nous-même; l'œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations."Il faut apprendre à aimer, c'est une œuvre de solitude," une occasion de mûrir, de prendre forme." Jacques referma son livre à cet endroit précis. Y a-t-il un être au monde qui mérite cette attente et cette préparation en dehors de l'être suprême ? En réalité, Rilke parle d'épreuve, on pourrait y ajouter ascèse et spiritualité. C'est un chemin de développement quasi mystique menant à la fusion des esprits et à l'annulation des corps. Ce soir de 15 juillet, ces textes d'une suprême beauté étaient sur le point de l'exaspérer. De quoi parle-t-on, sinon d'un amour de qualité divine ? Il pensait à la femme qu'il traînait derrière lui. Pour quoi faire sinon pour répéter le constat d'un échec? Cette femme, il pensait l'avoir aimée, il était sûr de l'avoir désirée, peut-être parce que c'est le propre de la nature de l'homme de désirer une femme, parce que c'est biologique et quasi inévitable quand on est normalement constitué, parce que quand on est jeune, l'énergie se manifeste d'une manière ou d'une autre, parce que... Il pensait aussi à Tania-Maïté qui parlait un langage qu'il ressentait, qui le faisait vibrer et qui peut-être annonçait l'amour, mais quel amour ? L’amour selon Rilke, celui qu’il invoque dans ses lettres à Franz Kappus (1)? L’amour selon Jacques qui ne rêvait que de tendresse, de réconciliation et d’abandon ?

(1) Lettres à un jeune Poète