lundi 28 juin 2010

Un hublot à chaque oreille Poème inédit de Jean Botquin


Un hublot à chaque oreille

Quand il la vit
il n'en cru pas ses yeux
elle portait un hublot
à chaque oreille

A bâbord et tribord
comme un navire
qui ouvre ses fenêtres
pour prendre l'air de la mer

Par ses hublots elle
regardait
ne voyait rien
n'entendait rien
pas même l'appel des sirènes

Un regard de muette
un regard de myope
un iris vague
qui n'attend rien

Et lui qui croyait
qu'elle le regardait
se mit à lui parler
en langues étrangères

Du grec ancien
du syriaque ou de l'hébreux
non du tzigane
à cause des boucles d'oreille

Le mouvement de sa langue
et de ses lèvres
palpitait comme trois oiseaux
qui ne savent plus à quelle folie
se vouer

Dire quoi
et à qui
autant se taire
devant le silence de l'étrangère



Lui souffler un secret
avec la caresse d'un tremble peureux
à l'intérieur
de ses boucles en Limoges
où s'arrondissaient ses regards
apeurés
d'un écureuil traqué par la mémoire
qui déloge

Quand il la vit
elle était assise
comme on s'assoit sur un banc
d'une place triangulaire
pour ne rien faire
attendre on ne sait quoi
que tombent les feuilles mortes
de l'orme malade
autour de soi

Elle était là
immobile
concentrée sur l'effort
de ne pas avancer vers lui
même à petits pas prudents

Elle était là
image dans un miroir
où elle se regarderait
sans se voir

Elle ne disait rien
surtout pas une sorte de petit désespoir
qui n'intéresserait
personne

Et cela
jusqu'au seuil de la nuit
où il la verrait
illuminée par la lumière
d'un astre obscur

Faisait-elle signe au monde
à travers ses hublots de porcelaine
qu'elle ne quittait jamais



Comme si se dessinaient
deux bouées de sauvetage
sur le grain de sa peau de sable


Comme si les battements
de son cœur en dépendaient

Aussi
la nuit
les anneaux
ronds de son visage
reposaient
les yeux ouverts
pour veiller sur elle
jusqu'au matin

Pourtant
lui la voyait partout
depuis bien longtemps
avant qu'il commença à la regarder
chaque jour

Même qu'elle se lovait
entre les pages du livre
qu'il essayait d'écrire sur elle
à l'encre rouge

Son livre était comme un parc
aux allées interminables
où il la suivait
pas à pas

Souvent elle s'envolait
vers les nuages qui accouraient
au-dessus les croisières blanches
sur la crête des vagues

Elle s'endormait le soir
entre ses rêves
comme entre ses bras
qui faisaient semblant
de ne rien comprendre




Car le matin l'oreiller
cherchait en vain
les marques des boucles
rondes sur sa peau
de satin

Personne
n'aurait pu écarter sa présence
façade ou falaise
debout sur la mer
Toujours
au bout de l'interrogation
elle avait les doigts
en bourgeons éclosant à la vie
après l'hiver

Parfois
arrivée au point d'orgue
un chapelet de fleurs autour de la taille
elle colorait les instants
tandis que la porte s'ouvrait
sur l'ombre d'un reflet
la clenche suspendue à un rai de lumière

De l'autre côté se fermait la quiétude

Une à une
elle recousait les corolles
qui dans l'eau étaient tombées

Ainsi
elle
dont la mire ne fait que grandir
cristal rond
gonflé par la rondeur pesante des sanglots

Aubier des tourbillons avant l'écorce
étonnement des climats et
des étangs où se noie l'Ophélie

Abeille
sur la portée d'un chant mystique
butinant de ses lèvres minces
les étoiles de larmes blondes

Sous les cheveux d'aubépine
dressés par la surprise

Elle
qui range ses pensées
dans le tiroir rond
de sa cohérence

Elle
au sein de la nacre des perles dont le collier
avait failli glisser de sa nuque
sauvé juste à temps
par ses boucles d'oreille
blanches
Quand les saisons hibernent
le sommeil se feutre
et l'on oublie de respirer
vraiment

Le temps confond le silence de l'amour
avec la mort désavouée
émigrée vers des cieux
moins cléments

Quand l'ombre se déplace dans l'avance des solstices
les soupirs gravissent les escaliers
les lettres frissonnent
avant d'épouser l'absente
les pleureurs tressaillent
en écoutant le jeu du vent

Et
l'on se laisse embarquer
dans la traversée des îles
tout au-delà des aubes

Saphique en ses méandres
et sa musique particulière
bercée enivrée
dès lors qu'elle avait commencé
de marcher sur l'onde crépusculaire
dans l'odeur des palmes brûlées
les ailes en cendres
les regards cerclés précieusement
par l'écoute de ses boucles
rondes



Réapparition constante
comme un refrain
sur la paume de la mer
où elle succombe pour renaître
toujours plus réduite
au rang des sirènes
par le langage de celui
qui n'ose s'exprimer

Il trempait sa plume
dans l'encre des hibiscus
il rougissait ses messages qu'il cachait
a ceux qui auraient eu envie de les lire
recopiant les trilles des rossignols
aux langueurs de danses aériennes
comme s'il allait l'épouser

Elle
à la fois
tache de lumière et
laurier à l'orée du monde

Nue
à l'aube
de la densité
des routes forestières

Voilà
comment dire
pendant qu'elle

Elle
dans le noyau du cœur
martelé de petites peurs
déchirée à coup de petites dents
aiguise un couteau
ou un clou bleu
forgé au feu de son cerveau
qui la transperce
de douleur

Elle
toujours
qui maintenant sommeille
le corps nu dans une robe de lune
longue fragile transparente

Nuit de cils endormis
front tendu sur deux rides
qui la prolongent
au-delà de son exil

Et l'arc se brisait
au-dessus
d'une tendresse abusée

Les rues
frôlaient les maisons
aux volets fermés

Les mots métissés
de vermeils et d'émaux
frappaient aux portes closes

Ils se brisaient les ongles
sur les arondes
se faisaient les griffes
jusqu'au sang

Derrière les failles
tremblaient
les flammes des bougies

De longs chagrins
s'échangeaient des confidences
autour des tables à souvenirs

Pâles les enfants des villes
les regardaient par les trous de serrure
avant de pleurer

Lui
par contre
la contemplait
toujours plus

Elle
qui s'était réfugiée sous le clocher du délire
se balançant aux anneaux de ses oreilles
de bâbord à tribord
comme les hublots de son navire
en pleine haute mer


Elle
toujours plus belle
comme une phrase achevée

Assise encore
sous la cloche
de la place triangulaire

Chaque fois qu'il la revoyait
irréelle comme une image
sur l'eau de ses rêves



Jean Botquin

1 commentaire:

Pasquale's blog a dit…

Abeille
sur la portée d'un chant mystique
butinant de ses lèvres minces
les étoiles de larmes blondes

Sous les cheveux d'aubépine
dressés par la surprise

Sur les chevaux de sable,
Elle dessinait les vagues immortelles,

et arrimée à sa bouche, une longue vue, telle une vuvuzéla rappelait les bateaux enfouis dans son corps bleu, infini...

Elle, qui était la mer,
avait longtemps écouté par les hublots, tous ces actes d'amour, ce chant régulier d'une femme qui se donne, et le râle d'un cerf qui s'abandonne...

Sensuelle, comme une nuit d'été, elle s'offrait toute nue, les yeux brillants comme des étoiles...

et le ciel s'était perdu sous ses paupières, tant que les vagues s'étaient immobilisées...

les hublots ouverts, servent à la mer à écouter le chant de merveilleuses sirènes...

à toi Jean...