mardi 4 août 2009

KIKI 2


Derrière la maison, à côté du garage, nous avons aménagé un nid dans de vieux cartons et chiffons, pour Tigresse et les quatre chatons. D'ici l'hiver, ils auraient grandi et trouvé à se loger ailleurs dans le voisinage car nous n'avions pas l'intention de les garder chez nous. Les deux petits blancs étaient particulièrement volages et délurés. Ils eurent tôt fait de réduire leur logement en charpie.
Nous n'avions pas de sympathie pour Tigresse sur qui planait un doute dans l'affaire de l'assassinat du lapin. De plus, elle était autoritaire et n'était
pas gentille avec Kiki qu'elle tenait un peu à l'écart des autres.
Elle lui donnait des coups de patte sournois. Kiki n'avait d'ailleurs jamais droit qu'aux restes de nourriture de ses frères. Sur une photo, on la voit, en retrait, assister aux ripailles familiales. Aussi grandissait-elle plus lentement.
Je suppose que les trois chatons se sont fait adopter dans d'autres familles du quartier.

Ils revenaient jouer de temps en temps dans le saule ou le pommier. On les voyait traverser les rues adjacentes, parfois au péril de leur vie.
Kiki ne quittait pas sa maman qui pourtant n'était pas tendre avec elle. Je ne me souviens plus du temps que dura son enfance car sa taille était plus petite que celle de Tigresse. Chats sauvages, ni l'une ni l'autre ne se laissaient approcher. il ne fallait pas essayer de les caresser. Vint le temps où les mâles du quartier se donneraient rendez-vous dans notre jardin autour de Kiki qui userait de son charme tout en se refusant. "Tu vois comme elle les provoque. Toutes les mêmes. Une allumeuse, ta petite Kiki!"-" Tu n'y connais rien aux femmes, répondait ma tendre épouse". Quant aux trois autres, ils disparurent avec le temps, soit qu'il leur était arrivé malheur - les chats sauvages ne vivent pas longtemps, ils se font enlever par la fourrière avec la fin que l'on devine -, soit qu'ils aient suivi leurs parents adoptifs vers d'autres cieux pas nécessairement plus cléments.

Il me semble que Kiki était bien plus attachée à nous et à la maison que sa mère. Elle pouvait nous observer à travers la porte vitrée ou la fenêtre de la cuisine pendant de longs moments. Elle n'exigeait rien sans espérer toujours. Même quand la porte était ouverte, elle n'entrait pas. Son regard humide implorait notre amitié qu'elle ne pouvait reconnaître que dans le geste de la nourrir, parcimonieusement. Nous avions choisi de ne pas lui enlever sa liberté, de lui laisser le choix d'aller et venir, de garder son statut de chatte sauvage qui n'appartenait qu'à elle-même. Malgré cela, elle nous restait fidèle. Il suffisait de l'appeler pour qu'elle apparaisse, comme par miracle, sur le toit de la serre qu'elle dévalait à toute vitesse.


Tigresse s'est fait écraser au carrefour, près de chez nous, la veille d'un W.E. où nous avions invité nos enfants et petits enfants. Nous nous sommes empressés d'enlever sa dépouille couverte de sang, pour éviter que les autos ne continuent leur horrible travail. Beaucoup de chats sauvages finissent comme ça dans nos villes surpeuplées d'animaux. Peu de temps après sa fin tragique, quelqu'un est venu sonner à notre porte.

-C'est à vous , ce chat ? Il était sur les marches, il veut entrer chez vous.


-Non, mais je le connais.


Effectivement, je l'avais reconnue. La grand-mère, la maman de Tigresse. Fidèle à mon attitude je ne lui ai pas permis d'entrer dans le couloir mais lui ai ouvert la porte du jardin. Elle me donnait l'air de vouloir quelque chose. Revenait-elle sur les lieux du crime ou cherchait-elle sa fille disparue ? Pourquoi n'avait-elle pas emprunté le chemin que tous les chats du quartier connaissent par coeur ? Elle est partie dans les taillis et je ne l'ai plus revue. Á ma connaissance elle n'es plus jamais revenue. Ma femme, à la suite de ce qu'elle appela une intrusion, opta définitivement pour l'hypothèse du meurtre du lapin par l'ancêtre de Kiki. En tous cas, je ne crois plus que les liens de famille, chez les chats, disparaissent dès qu'il sont adultes. De plus les animaux sont dotés d'intelligence. J'ajouterai que s'ils n'ont pas d'âme, les humains n'en ont pas non plus.


(A suivre)

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