mardi 24 novembre 2009

Bergeronnette. Jean Botquin. Inédit.

Merci à Christian Kerihuel pour cette belle photo de bergeronnette des ruisseaux.


Á l'automne, les bergeronnettes descendent vers les vallées, elles émigrent vers d'autres contrées, par milliers, sauf une, éprise de liberté ou forte tête qui n'en fait qu'à la sienne. Elle pense que, tant qu'il y a encore des insectes à gober et que le ruisseau gambade dans la prairie pour s'y regarder, elle n'a pas besoin de quitter le pays. Car la bergeronnette, personne ne l'ignore, compte sur son image pour se rassurer. Elle se dédouble. Elle devient son autre. En se mirant dans l'eau comme dans un miroir, elle n'est plus seule. Qui donc a parlé de solitude ?

Cependant, la nature impose des limites à cette liberté et à l'insouciance de notre bergeronnette. Elle a beau se convaincre du contraire, le temps fraîchit. Les troupeaux ont regagné les vallées et leurs étables. Les insectes se font plus rares. Bientôt, dans le ciel l'hiver floconne, les brumes s'installent, le temps s'assombrit, les journées raccourcissent, le miroir de l'eau se ternit. Quand elle cherche son image sur le bord du ruisseau, elle ne voit plus que l'ombre d'elle-même qu'elle ne reconnaît plus. Et ses frères et soeurs sont loin.

Bientôt, c'est la disette, les insectes avec les animaux des étables se sont endormis. On voit de plus en plus notre oiseau imprudent hocher la queue sur les routes où roulent des voitures dotées de miroirs scintillants sous le soleil blanc et froid.
"Me regarder dans ces miroirs rapides, voler aussi vite qu'eux pour me reconnaître, pour savoir si j'existe encore, pense-t-elle."

Hélas, ce jeu-là est dangereux, vous le pensez bien. Un jour la rencontre avec un rétroviseur fut fatale. Assommée par l'envers de l'écrin dans lequel le miroir était logé et qui avançait plus vite qu'elle, elle roula sur le bord de la route, sans vie, aveuglée par le sang qui coulait de son petit crâne. Heureusement, les anges des oiseaux étaient là pour accueillir son âme trop vaniteuse -ils l'appelèrent Marguerite avec un sourire taquin-ne me demandez pas pourquoi .

Ces anges l'emmenèrent dans la grande cage dorée des passereaux du ciel où la solitude, paraît-il, n'existe pas.

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