jeudi 13 janvier 2011

Coeurs Absents de Mohamed El Jerroudi. Ma préface.


« Écrire un poème/ c’est rendre les choses obscures /pour qu’elles donnent de la lumière ». Mohamed El Jerroudi ne pouvait mieux exprimer le mystère de la création poétique. Cette définition, il la doit sans doute aussi à sa passion pour la peinture, car ce poète marocain est également critique d'art. Son écriture ne fonctionne-t-elle pas comme des pinceaux brossant des surfaces de nuit avec une matière dense, composée de mots simples et lumineux qui sculptent le ciel et dévoilent les étoiles ?

Nous nous sommes rencontrés fin 2007 sur internet. Dès le début, j’ai été conquis par la richesse intérieure de ses textes, l’humanisme de sa vision, le ton prophétique de ses incantations. Je les ai lus à haute voix. J’ai perçu immédiatement le caractère oral de cette poésie faite pour être proclamée du haut de montagnes ancestrales. Une poésie que l’on écoute, ce en quoi elle est orientale, avant de la lire tout bas. Orientale, elle l’est également à travers ses métaphores et son nomadisme.

El Jerroudi qui est méditerranéen sait, cependant, qu’au-delà des détroits (Gibraltar et Bosphore), il y a d’autres rivages qui suscitent rêve et espoir. On n’est pas professeur de français pendant près de quarante ans sans se pénétrer d’autres cultures qui pèsent de tout leur poids. Il affirme dans un de ses poèmes:”Je veux restituer chaque page/ au livre écrit/ dans toutes les langues/ de la terre”. El Jerroudi est un poète universel, au-dessus des nationalismes étroits, qui ne connaît pas les frontières et croit essentiellement aux valeurs véritables de l’homme d’où qu’il soit.

Que faut-il pour atteindre la hauteur des astres ? Mohamed nous l’apprend à chaque page de son livre. D’abord faire des choses simples, creuser la terre, planter un palmier, un olivier, un figuier. Cultiver l’amour filial, celui du père qui avant de partir a offert le reflet de son visage, celui de la mère dont la souffrance colle encore à la peau comme l’unique parfum de ses cheveux. Ne pas oublier les ancêtres dont le sang coule dans nos veines . Se souvenir de l’enfant que l’on a été et sans qui on ne serait capable de lire la couleur du matin.
Pétri de cet amour filial, ancré à ses racines ancestrales, Mohamed El Jerroudi exprime le temps qui passe, l’écoulement de la vie, la traversée du désert et l’angoisse qui l’accompagne. Les couleurs le hantent, il ne peut s’en passer, il leur attribue un pouvoir illimité. Quelle est donc la couleur de la vision intérieure ? « J’écrirai des poèmes,dit-il, je leur parlerai d’un ciel, dont la couleur n’existe que dans les yeux des aveugles ». Cette couleur-là personne ne la verra jamais.

Être poète, c’est tendre l’oreille pour écouter la solitude, c’est prendre le risque d’être abandonné par Dieu et par les hommes, c’est sauver la parole de ceux qui ont osé écrire les mots à l’envers, c’est à dire la parole de ceux qui sont entrés dans la révolte et ont refusé les règles qui jugulent la liberté. C’est aussi raconter ce qu’on a vu, l’horreur et la cruauté d’un monde de souffrance. Être poète, c’est donc vivre pleinement sans oublier que « derrière chacun de nos pas, il y a l’ombre d’un corps en poussière ».
Dans les textes d’El Jerroudi, Dieu est à la fois présent et absent. Dieu est indéchiffrable, un livre fermé. Il est peu probable qu’Il soit celui que les religions invoquent. Mais Il est celui vers qui le voyageur (El Jerroudi) marche, à travers le sable et le désert « pour être plus léger que le poids du départ ».

L’encre de Mohamed El Jerroudi est brûlante, elle dessine les mots, fait danser l’âme, raconte comment « le temps nous dévore et nous déshabille devant la mort », mais aussi, avant l’inéluctable, célèbre la vie et la beauté.

Livre de silence et de recueillement « Cœurs Absents » évoque dans un langage fluide comme un sang vivant, une spiritualité berbère étrange, émouvante, proche de la terre et du ciel.


Jean Botquin

Coeurs Absents. 10€ (à paraître)
Editions du Cygne, Paris
http://www.editionsducygne.com/

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