mardi 12 avril 2011

Les sarmants. In "Le front haut" de J.B.

A maman, à qui je pense tous les jours.

Les sarmants

Déjà, elle avait tiré son âme sur les yeux, comme on se couvre pour dormir. Ses mains ressemblaient de plus en plus à des sarments desséchés qui auraient épuisé la terre. Maintenant, les mains demandaient sans parler, parfois suppliaient : « Vois-tu, nous sommes sorties de l’œuvre et la vie se rétrécit à l’intérieur de nos doigts. Notre maison, c’est le fauteuil ou nous égrenons le chapelet du temps ». C’est ce qu’elles pensaient, sans trahir leur silence. Régulièrement, elles interrogeaient une horloge qu’elles tenaient sur les genoux. L’horloge prononçait d’une voix métallique : « Il est treize heures quarante-cinq minutes ». Autrement dit, il y avait plus d’une heure que le repas était terminé. Et il faudrait encore attendre près de trois heures avant de manger la tartine du soir. L’horloge ne disait pas : « C’est l’après-midi. Il est une heure quarante-cinq minutes ». Non, cette boîte préférait compter jusqu’à vingt-quatre. Le langage véritable des heures et des saisons lui était inconnu. Ainsi le temps ne passait plus guère. Il y avait peu de différence entre la lumière du matin, du soir et de la nuit. Les saisons et les jours n’étaient plus qu’un seul hiver sans fin où le regard ne fleurissait plus.
In « Le front haut » de J.B.

6 commentaires:

Danièle Duteil a dit…

Jours de lenteur... Magnifique portrait de vieille femme esquissé à travers un face à face émouvant avec le temps.

Ecrivez-vous aussi des haïbun, Jean ?

Anonyme a dit…

. Non, cette boîte préférait compter jusqu’à vingt-quatre. Le langage véritable des heures et des saisons lui était inconnu. Ainsi le temps ne passait plus guère. Il y avait peu de différence entre la lumière du matin, du soir et de la nuit. Les saisons et les jours n’étaient plus qu’un seul hiver sans fin où le regard ne fleurissait plus."Pourtant, lorsque la boite métallique se mettait à chanter les chansons de la Môme Piaf, les mains qui la serraient se détendaient comme par enchantement, le visage de la femme s'éclairait alors d'un sourire éclatant, et du fond de son âme, une voix se mettait à lancer au ciel emportée par la foule... et ses mains se mettaient à voler, voler, jusqu'au pays où la jeunesse ne meurt jamais... alors, l'horloge avait beau compter une quarante cinq, elle ne reviendrait que lorsqu'elle serait fatiguée..."

jean.botquin a dit…

Merci Danièle. Je ne sais pas ce qu'est un haïbun...
Merci Pasquale !

Anonyme a dit…

la musique des mots
jouée par le jongleur bleu
poète mon coeur...

Danièle Duteil a dit…

Comme c'est beau !

Un haïbun, c'est un récit assez court (souvent de voyage mais pas obligatoirement), en prose poétique, dans lequel l'auteur "pose" quelques haïkus qui, sans illustrer directement le texte, entretiennent avec lui un lien subtil.

jean.botquin a dit…

Merci, maintenant je me souviens en avoir lu.