vendredi 21 novembre 2014

Le cimetière.

Le cimetière
Elle y allait tous les jours. Souvent à la tombée de la nuit à cause des bougies qui tremblaient dans la pénombre, parfois le matin tôt quand les montagnes sont encore bleues.
La tombe était insaisissable. Elle était sûre que la tombe se déplaçait au fur et à mesure qu'elle avançait entre les rangées. Jamais elle ne la trouvait du premier coup. Il fallait marcher plus vite qu'elle ou la prendre à contresens, presque par surprise. Cette partie de cache-cache avec ses parents eût été amusante si elle ne s'accompagnait de la souffrance de les perdre à nouveau ou de la joie insupportable de les retrouver. Généralement, le soleil était déjà très haut quand, enfin, elle découvrait la pierre tombale avec les deux noms l'un en dessous de l'autre. Le soir, c'était plus difficile. Il lui était arrivé plusieurs fois de devoir escalader la porte pour quitter le cimetière ou de se faire chercher par le gardien qui lui mettait un doigt sur l'épaule afin de la sortir de sa quête. Une fois, il lui dit : "Je vous observe depuis plus d'une heure, vous n'avez pas bougé comme si vous attendiez que l'on vienne vous chercher". Elle pensait sans répondre qu'il se trompait et qu'elle avait marché tout le temps, même qu'à un moment elle avait failli courir mais qu'elle s'était retenue pour ne pas réveiller les morts qui dormaient. L'apparence ignore souvent la réalité. Elle savait qu'elle devrait revenir le lendemain pour refaire le même chemin et qu'elle aurait le même espoir et la même crainte. Il y a des gestes qu'on ne peut que recommencer toujours. On se demande pourquoi.
J.B. Extrait du Front Haut.
Chez l'auteur.

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