mercredi 26 mars 2008

Le temps des soucis

Les soucis



C’était l’année où les soucis envahirent la ville.

L’apparition de ces fleurs orange dans les endroits les plus inattendus prit rapidement une allure inquiétante.

Au début, on venait de loin pour admirer les parterres éblouissants des parcs publics.

En très peu de temps, les tombes des cimetières croulèrent sous les soucis.

Toute la verdure devint orange. L’herbe disparut.

Le virus du souci atteint les recoins les plus reculés de la ville. Rien ne pouvait empêcher la contagion. La ville était malade.

On ironisait qu’il ne fallait plus se faire de souci car il y en avait partout.

Chaque larme qui tombait sur la terre faisait germer un nouveau souci.

Il en poussait dans les gouttières et même à l’intérieur des maisons.

A peine éclos, on les fauchait, hélas, pour rien car ils repoussaient encore plus denses.

La rue sans-souci ne méritait plus son nom.

On n’osait plus parler de l’insouciance des enfants car eux-mêmes prenaient peur devant la marée jaune.

C’était la crise, l’hépatite des jardins .

Il fallut attendre l’automne – et dans certaines rues l’hiver – pour que les soucis arrêtent leur progression et que cette plaie meure d’une mort orange aux quatre coins de la ville dans d’immenses brasiers.


Jean Botquin



Extrait de « Le front haut ».


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