vendredi 4 mai 2007

Un amour délocalisé


Bruxelles, début mars 19..

Anaïs chérie,

A peine sorti de Lyon, le train s’arrête.
On nous annonce: « Par suite d’un acte de malveillance d’un voyageur, nous subirons un retard d’une demie heure. » Je n’en crois rien. La vérité est que ce train se sent coupable de nous séparer. Plein de remords, il veut retourner à la gare Perrache, comme moi, pour te retrouver sur le quai où je t’ai abandonnée, petite fille de soleil aux yeux baignés de nuages. Hélas, même si tu es dans mon coeur et ma tête, je te sais lointaine et pâle sur l’horizon de mon délire...

Tes caresses me font rêver et penser que nous ne pouvons plus mourir, désormais. L’amour est synonyme de vie, d’énergie, d’enrichissement. Il me fait exploser de l’intérieur, je suis un volcan, coulée de lave, larmes qui te fécondent. Et pourtant Anaïs, je sombre dans ce train où personne ne sourit, où tout le monde regarde sa montre et me reproche l’éternité que tu me fais vivre de façon tellement forte.

J’ai deux sièges, tu pourrais être à côté de moi, je te caresserais à travers l’étoffe de nos pantalons, tu t’ouvrirais, j’en suis sûr, pleine de ce miel que j’ai gardé dans la bouche...Ton siège est resté inviolé. Personne ne veut s’y asseoir de peur de s’y brûler. Aussi, j’y ai vite déposé toutes les clefs qui font palpiter mon désir, avec lesquelles j’ouvrais toutes tes portes. J’entrais de partout en partout. Suis-je sorti de toi ? Je ne suis plus rien d’autre que celui que tu as laissé après l’avoir annexé, inféodé, rempli, vidé. Et les clefs sont là, maintenant, pauvres instruments de torture de notre amour disloqué, délocalisé.

Le train, après une demie heure d’attente est reparti. A Dijon, j’ai changé pour Bruxelles. J’ai dormi, mangé un sandwich, bu un café. Je te revois, comme ce matin, au lever, après nos croissants. Dans mes paumes, ton corps lisse, mince, bouleversant. Je m’attarde aux endroits fragiles, estuaires, petites baies, golfes, fins de mers intérieures, débuts d’éternité, lèvres tendres que mes doigts assouplissent et qui m’érotisent à me rompre le coeur. Tu fermes les yeux...Je te vois, encore et encore, sortir de l’eau, tes cheveux mouillés aplatis sur le crâne, qui te transforment en môme brusquement désespérée, comme au bord d’un précipice que tu aurais cherché à ignorer, là, quelque part où l’être prend son envol.

Anaïs, tu te souviens, nous revenions de Grenoble. J’étais à ta droite. Tu lisais, je pense, Le Très-Bas de Christian Bobin. Ou peut-être un Paul Auster, je ne sais plus. Ma jambe gauche touchait ta jambe droite. Je sentais, à travers ce point, passer une énergie étrange qui, à la fois, me désangoissait et nourrissait mon désir. Je m’étais mis à t’écrire pendant que tu lisais. Je te posais des questions sur le papier. Est-ce que toi aussi tu me reçois pleinement comme je te reçois, cinq sur cinq ? J’écrivais, c’est la première fois de ma vie que je suis aussi proche d’une femme qui n’hésite pas à jeter un pont au-dessus de ses angoisses. Anaïs, ta sensibilité me bouleverse. A un moment donné, tu m’as embrassé au milieu d’une phrase de ton livre. Puis, je t’entendis à nouveau tourner les pages. Il me semblait que ce bruit léger affinait mon oreille par laquelle tu entrais en moi. Je baignais dans le halo de ton corps, dans ton irradiation. Ce jour-là, ton aura devait être très forte pour qu’elle m’impressionnât autant. Nous roulions ensemble dans la même direction comme un vrai couple, qui rentre chez lui. Le voyage nous réunissait au lieu de nous séparer comme aujourd’hui. C’était bon, paisible, tranquillisant. Oui, le bonheur est composé d’infiniment petits, de deux genoux l’un contre l’autre, de cette complicité secrète qui nous effleure à peine...

Pourquoi la navigation de nos corps emmêlés, la rencontre de nos fragilités, nos attirances chaque fois renouvelées doivent-elles s’entrecouper de malaises comme si le bonheur et le chant de nos sensualités ne pouvaient être complets...Oui, pourquoi ? N’avons-nous pas enfin mérité notre libération intérieure ?

Je t’embrasse de toute ma tendresse...


Noël


*


Lyon, fin mars 19..


Mon Noël,


Ne m’en veux pas, j’ai peur et pour tromper mon angoisse, je viens te parler, en pleine nuit. J’ai l’impression que je vis cela pour la première fois... Avant, avec P., le père de mes enfants, c’était autre chose. Un amour d’enfance prolongé, une espèce d’adolescence conforme au souhait des parents, même si au début ils n’étaient pas d’accord parce que nous avions commencé trop tôt. C’était, il me semble, un amour où nous reproduisions nos besoins d’être protégés, où je cherchais un père et lui une mère, quelque chose comme la continuation de la famille préexistante, où j’étais pareille à ma mère et lui pareil à son père.

Aujourd’hui, je transgresse mes interdits, je vis une espèce de folie, je me sens devenir femme comme si je ne l’avais jamais été. Je fais l’amour avec le soleil, Noël, car tu es mon soleil, c’est d’ailleurs ton signe. Tu éclaires mon corps, il me semble que je suis jolie, avant toi je ne l’étais pas, je ne pouvais me regarder dans le miroir, je ne savais comment j’étais faite. Tiens, regarde ces photos que tu as prises de moi, je ne m’étais jamais vue comme ça, je ne m’étais jamais regardée. Je ne savais pas que j’avais cette petite fente entre les jambes ou je l’avais oublié, cela ne m’intéressait plus. Quand je regarde mes seins, je vois et je sens tes mains qui les caressent. Tu me révèles, j’étais morte, je ne croyais plus que cela pourrait encore m’arriver. Quel miracle, je ressuscite ! Il y a un an, j’étais dans ce même lit où nous faisons l’amour, je ne pouvais dormir tellement je pleurais, tellement ma vie était détruite, j’étais malade de désamour et d’abandon. Maintenant, je ne dors toujours pas parce que je voudrais être près de toi qui es si loin, je ne pense qu’à cela, mon ventre te réclame, je m’ouvre rien qu’en regardant ces photos et en pensant à ton sexe...Ah ! Qu’il est beau, je le vois qui entre et sort de moi. Dans quelle position étions-nous pour que je le vois ainsi entrer et sortir, petit puis si grand ? Je t’aime Noël, je l’aime, c’est trop, c’est trop et pas assez. Ce lent mouvement quand tu me pénètres en douceur... Noël, Noël qu’allons nous devenir ? Je me dis : « Confiance, Anaïs, tu es une petite graine, prête à germer, à sortir de sa coquille, à grandir, ne te poses pas de question, le temps viendra où tu seras grande et forte. »

Merci Noël de m’avoir permis de m’aimer. Si je suis jolie aujourd’hui, c’est parce que tu m’aimes, sans toi je serais cette petite chose triste et laide qui ne sait aimer que les enfants des autres. Je t’embrasse, je descends le long de ton ventre, je pose mes lèvres, devine où, je le prends tout doucement dans ma bouche, tout doucement pour ne pas le réveiller, pas encore, pas maintenant, tu es trop loin...

Tu sais, Noël, ce qui me surprend toujours, c’est la vitesse du temps. Nous ne sommes qu’une virgule dans la phrase du temps, une toute petite virgule. Les gens sont sur des rails, ils ne s’en écartent pas, ils avancent tout droit sans réfléchir, sans rien vivre, peut-être même sans rien penser, rien qu’avec des images de la télé dans la tête, ils se réveillent, ils déjeunent à peine, ils travaillent ou font semblant, ils reviennent chez eux, ils mangent encore comme les oiseaux qui ne font que ça, ils s’endorment sans rien avoir vécu. Je préfère l’amour qui me fait souffrir, la souffrance de ton absence, ton éloignement à la banalité du quotidien. Je t’aime, n’oublie jamais. Ah ! que je t’aime !

Je viens de découvrir que l’amour est parallèle à la mort, comme la création, comme toutes les grandes choses. Je n’ai pas peur de la mort. Je voudrais mourir pour ce que tu me fais vivre. Tu es mon premier amour adulte. Chaque fois que tu me touches, tu m’affranchis. Tu me féminises. C’est vrai, je n’étais pas en règle avec ma féminité. J’espère que tu continueras à recréer la femme en moi, j’en ai besoin. Tu me fais évoluer. Je veux que toi aussi tu évolues. Les couples qui n’avancent plus sont voués à la destruction. Cette rencontre avec toi est un véritable chemin de libération, c’est inespéré.

Dans ma tête, je pense que j’ai tué ta femme, Castaneda dit que l’on porte la mort au bout de son bras. Il faut mettre fin à la situation triangulaire. C’est sans doute ce que m’impose l’analyse et la transgression de l’interdit. Dans mon esprit, je veux détruire le passé que tu avais toi-même condamné. Est-ce que je me trompe si je dis que toute ta vie tu n’as pensé qu’à ça, que tu attendais ce moment. Le moment de ta recréation. Le moment de ta (re)naissance, de ton retour à la vérité. Je l’espère...Nous avons écarté le cadre, nous avons osé aller au-delà. Déjà que mon cadre à moi n’était pas comme les autres, il avait la forme d’une étoile. Il fallait oser pour épouser la vraie vie. Pourquoi est-ce que l’amour me fait tellement mal ? Suis-je en train de vivre le deuil de quelque chose d’inconnu, de caché ? Je tourne tout cela dans ma tête afin de comprendre. Ce que tu m’as dit sur la spiritualité m’a beaucoup touché. Il me semble que je t’aime dans la verticalité, avec le haut et le bas, en parfaite harmonie.

J’ai fait un rêve. Je marchais sur un chemin qui longeait un chemin de fer. A un moment donné, le sentier s’est rempli de ronces, je ne pouvais plus avancer. Alors, pour aller plus loin, j’ai marché entre les rails. Plus j’avançais, plus je me sentais mal. Il fallait sortir de ces barres d’acier, de ce carcan. Heureusement, un peu plus loin, le chemin de ronces s’est transformé en chemin de pierres, plates, brillantes. Je me suis mise à chanter sur le chemin de pierres. Au bout de cette véritable petite route qui serpentait dans la campagne, il y avait une maison blanche. La porte s’est ouverte et je suis entrée. Je t’aime Noël. Je t’embrasse.

Ton Anaïs


*


Le temps passe, le ciel s’assombrit. De mars à septembre les voyages se sont succédés, les lettres se sont espacées...


*


Bruxelles, fin septembre 19..


Tu as raison, Anaïs, je n’aurais pas du venir, ça ne pouvait que mal se passer, tu n’étais pas disponible. C’est vrai, dans ce qui t’arrive, je suis impuissant. Comment t’aider à faire face à la fugue de Clémence ? C’etait votre problème, celui de P., le tien, pas le mien, seulement le mien, dans la mesure où mes visites à Lyon et ma présence auprès de toi perturbent ta fille qui se sent, sans doute, comme tous les adolescents du divorce, abandonnée.

Pour toi, je me suis comporté en égoïste, je n’ai pensé qu’à moi, à mon besoin d’être avec toi. Moi, je croyais stupidement que tu aurais eu aussi besoin de moi, surtout dans les circonstances que tu venais de vivre, et comme mon voyage était prévu depuis quinze jours, j’ai débarqué. Tu m’attendais à la gare. Tu m’as dit, tout de suite : Pourquoi es-tu venu ? J’avais envie de répondre : Parce que ! Parce que je ne peux vivre sans toi, que je t’aimais pour le meilleur et pour le pire, qu’aujourd’hui c’était sans doute le pire, que j’avais envie de te prendre dans les bras, te consoler, te dorloter comme une enfant, que je me serais comporté en lâche si je n’étais pas venu, que je me considérais aussi un peu comme le père de Clémence, puisqu’elle était ta fille, que c’était une preuve d’amour et non le contraire... Et puis, merde. Je suis venu parce que. Voilà. Parce que ! Comme s’il fallait tout expliquer ! Quand j’ai voulu t’embrasser, tu as esquivé mon baiser. J’ai compris que ce n’était pas gagné. Plus tard, tu m’as lâché quand-même : Je suis contente que tu sois là.

P. t’attendait avec Clémence qui t’a embrassé comme si elle n’avait pas fugué pendant cinq jours. Tu l’as giflée. Vous avez pleuré. Je suis sorti dans le jardin. Quand je suis rentré, Clémence était partie avec son père. Toi, tu étais effondrée dans le canapé, sanglotante, je ne savais que faire.

Ton fils est arrivé. Vous avez discuté jusqu’à l’heure du coucher sur l’amour et son caractère souvent possessif. Ce discours analytique, visiblement, m’était destiné. J’ai appris ce soir-là toute l’horreur des attachements qui aliènent l’identité de celle ou celui qui en fait l’objet. L’amour, c’est bien ce que vous pensiez tous deux, doit respecter l’autonomie de l’autre. Faut-il croire que l’amour quand il nous a envahi, finira, tôt ou tard, par submerger l’être aimé au point de mettre sa vie et sa liberté de vivre en danger ? Je peux me tromper, mais les gens qui s’aiment ne tiennent pas ce discours, ils ne se posent pas ces questions.

Ce que j’écris ne t’apprend rien. Je ne fais que décrire ce que nous avons vécu. Mais, réflexion faite, ce n’est pas inutile car tu n’as certainement pas perçu les choses de la même façon que moi.

La soirée s’est vraiment mal terminée. Tu t’es retirée pour te préparer à la nuit. Ton fils m’a prévenu que tu souhaitais dormir seule. Je me suis dit: « Elle n’a même pas le courage de me le dire elle-même. » J’étais terriblement vexé. Cela m’a rendu complètement fou. Je n’avais qu’une nuit à passer avec toi. Le lendemain, je prenais l’avion pour rentrer en Belgique. C’était un ratage complet. Oui, tu as raison, je n’aurais pas du venir...Je n’avais rien à faire dans vos histoires. Clémence qui avait traîné pendant cinq jours dans les couloirs des sous-sols de la gare avec des toxicomanes était revenue. Je suppose que P. et toi avez décidé de la faire examiner. Ah, j’espère qu’elle n’aura rien.

Dans ma rage, je me suis comporté comme un con. Ton fils parti, je me suis déshabillé, j’ai fait valser mes habits dans ta chambre, j’ai été me coucher sur le divan, avec tes chats qui sont venus ronronner sur mon ventre. Je n’ai pas dormi. Je sais, toi non plus. Inutile de revenir sur la journée qui a suivi. Une horreur ! Tu n’as pas attendu l’heure normale de mon départ pour aller retrouver Izaac Marcovitch, ton psychanalyste. Dans l’avion j’ai mieux réalisé combien la fugue de Clémence t’avait ébranlée. Je me suis mis à gamberger. Etais-tu en état de conduire ? Tu m’avais paru totalement déboussolée, perdue. L’angoisse me tenaillait de plus en plus. Je voulais te téléphoner dès mon atterrissage, pour me rassurer sur ton état, pour me calmer, pour te confirmer combien je t’aimais...Pas de réponse. A la descente du train, je me suis précipité dans la première cabine venue...Toujours rien. J’essaierais plus tard encore... Ce n’est que de mon bureau que j’ai enfin pu t’atteindre, le lendemain. Tu m’as dit: « Ce n’est pas parce que je m’appelle Anaïs que je suis une femme objet. » Cela m’a coupé le souffle. Toi, une femme objet ? L’objet de mon désir ? Oui, souvent ! L’objet de mon amour, tout le temps, toi la part androgyne de mon être, toi qui me complètes, dont l’absence me fait souffrir, toi dont j’ai besoin pour vivre ! Comment peux-tu penser que je puisse te considérer comme un objet ? Un objet que l’on manipule uniquement pour son plaisir ? Je ne comprends pas, Anaïs, je ne te reconnais plus. Est-ce le poids de nos passés différents qui fait qu’aujourd’hui tout te paraît difficile ? Qu’ai-je donc fait pour tant te décevoir ? Depuis dimanche, je m’interroge, je passe en revue toutes les phrases que j’ai prononcées et toutes celles que j’ai omises. Depuis quelque temps j’ai l’impression de ne plus être adéquat, de ne pas trouver les mots et les attitudes qui conviennent. Je sens chez toi une part de méfiance. Je ne parviens plus à émouvoir ton corps, il faut attendre la fin d’un repas pour que tu puisses te rapprocher de moi comme s’il te fallait un peu d’ivresse pour dépasser la frontière de tes craintes ou ton manque d’attirance. Usure du temps ? Insupportable effet de destruction de la distance et des séparations toujours répétées ? Ne faut-il pas toute une nuit pour, chaque fois, te réhabituer à ma présence. Et le reste du temps se passe ensuite dans l’angoisse du départ, dans la projection intérieure de ces images où nous nous voyons disparaître au loin. Peut-on encore vivre longtemps comme cela, sans redevenir les étrangers que nous étions ? N’est-ce pas pure folie ? Mais non, me dis-je, nous finirons par trouver une solution. Déjà, pensons aux vacances de Noël où nous vivrons quinze jours ensemble. Plus tard, je viendrai m’installer à Lyon ou toi à Bruxelles. Prenons patience... Ayons confiance. Nous avons tenu un an déjà, retrouvant chaque fois ce grand bonheur et la quintessence de notre profonde aventure. Que n’avons-nous pas vécu depuis le premier jour ! Combien de découvertes autour de nous et en nous ! Quelle joie m’as-tu apportée, même si elle devait cesser je ne pourrais jamais l’oublier. Les humains ne sont pas faits pour vivre seuls, quoique tu puisses en penser aujourd’hui contrairement à tout ce que tu m’avais dit et écrit. Tu m’as dit que je te faisais perdre ton identité. J’avoue ne pas très bien comprendre. En quelque sorte, l’amour serait un jeu dangereux qui te fait peur, il te ferait retomber en enfance...Est-ce vraiment cela ?

Nous sommes jeudi. Ton fils vient de me téléphoner. Oiseau de mauvaise augure. Il m’a transmis ton message. Tu as décidé que tu ne viendrais pas ce W.E. Tu as annulé ton billet d’avion. Tu ne te sens pas adéquate, il vaut mieux attendre un peu, ne pas se faire du mal, ne pas se parler pendant quelque temps, même ne pas se téléphoner...P. va prendre la garde de Clémence. Tu seras soulagée. Vous ne parvenez pas à vous entendre, tu te mets à crier sur elle, elle s’enferme dans sa chambre, elle utilise ton parfum, elle a failli faire une nouvelle fugue, elle t’avait volé le collier en argent que je t’ai offert, elle t’emprunte tes slips, c’est vrai qu’elle est presque aussi grande que toi... Non, ça ne va vraiment plus. Ton fils m’a tout raconté. Est-ce lui qui t’a convaincu de former mon numéro pour t’expliquer un peu ? Enfin peu importe, j’ai enfin entendu ta voix...

Tu sais, la nuit dernière, j’ai dormi dans les couvertures pour ne pas toucher aux draps que je te réservais. J’ai des mandarines, superbes, des oranges, des yaourts pour le petit déjeuner, de la minarine, celle que tu aimes, aussi du vin et de la bière pour plus tard et du whisky ( le whisky, au cas où tu ne viendrais pas, pour moi tout seul, pour me consoler, tu comprends). J’ai aussi de l’eau minérale pour la nuit, après l’amour (on a toujours un peu soif ) ou après le concert ou le cinéma.

Merci quand-même de m’avoir téléphoné. Soit, si tu préfères rester dans ton trou comme un petit animal blessé pour souffrir toute seule. Je veux respecter ton désarroi, ton désespoir dans lequel tu ne trouves rien à me dire. Je t’aime, bordel de merde, tu es ma dernière chance, je ne trouverai plus jamais quelqu’un comme toi.

Tu te souviens, ce que tu écrivais en août: « C’est une lettre vraie et sincère, pleine de fautes d’orthographe. C’est une lettre qui te dit que nous sommes au carrefour du chemin de la vie et que je choisis de faire route avec toi. Je t’aime et je t’embrasse, mon petit Noël à moi. » Moi aussi, j’ai choisi de faire route avec toi, Anaïs, à travers tous ces sentiments mêlés, contradictoires, difficiles à assumer, comme tu dis, à travers l’étrangéité qui nous habite et nous sépare parfois. Je sens monter du centre de mon corps une chaleur intense et tendre. Je voudrais te prendre par la main, t’amener tout contre moi, t’embrasser dans le cou, humer l’odeur de tes cheveux, sentir tes seins nus contre ma poitrine, ton ventre contre le mien. Je voudrais revivre tout ce que nous avons vécu ensemble à chacune de nos premières rencontres, partout où nous nous sommes aimés fort, profondément, parfois désespérément et dans l’angoisse de vie et de mort. Ne sommes nous pas tous deux d’un monde où les frontières n’existent plus ? Nos vies ne sont-elles pas définitivement fusionnées malgré l’inconfort des distances et des voyages ? Je t’embrasse, mon amour, viens, je suis là.. .


Noël


Cette nouvelle est récemment parue dans "Etranger, j'écris ton nom", 29 auteurs belges mobilisent leur plume. Sous la direction de Hervé Broquet. Avec : Nicolas Ancion, Frank Andriat, Luc Baba, Fanny Barnabé, Isabelle Bary, Rose Berryl, Jean Botquin, Hervé Broquet, Daniel Charneux, Eric Clemens, Serge Federico, Vera Feyder, Félix Gutmacher, Françoise Houdart, Christophe Kauffman, Isabelle Kerstenne, Werner Lambersy, Yun Sun Limet, Pierre Lorquet, Raphaël Medear, Jean-Luc Pierret, Françoise Pirart, Jérémie Piscicelli, Myriam Rosman, André Schmitz, Bernard Tirtiaux, Michel Torrekens, Jean-Pierre Verheggen, Pascal Vrebos. Aux éditions Couleur Livres. ISBN 2-87003-459-8 – Février 2007.
Les bénéfices et droits d’auteur de ce livre seront versés au profit d’une association : la Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Etrangers (CIRE).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Sensuel sans être sexuel, superbe,
toutes les sensations amoureuses se retrouvent dans cet écrit...

aimer sensuellement est aussi important que mentalement...

merci Jean

Pascal M.
26/05/2007