mercredi 12 novembre 2008

L'écriture

Oeuvre chypriote à la FIAC 2008 de PARIS



Alors, Jean, tu écris toujours ?

Depuis 13 ans que je publie (difficilement), cette question m'est posée régulièrement, surtout de la part d'anciens collègues de travail (qui considèrent sans doute qu'il s'agit d'un passe-temps, ou d'un hobby, comme on dit aussi). Parfois, j'ai envie de répondre par une question: Je ne peux pas ? , ça te gène ?, tu crois que ça va me passer? Ce n'est pas si grave... Il y a dans cette question une espèce de jugement négatif qui m'est désagréable. Je sais bien que nul n'est prophète dans son pays.

Aussi, un jour, j'ai eu envie d'écrire ce que l'écriture représente pour moi.



L'écriture.




Les mots

je les ai mâchés comme de l'herbe à silence

à en vomir

j'arguais du globe de verre

qui m'isole du monde

je volais de place en place

tel un planeur dans la sphère

de ma nuit où je dormais

croyant m'immoler

La spéléo de l'écriture

la cagoule du meurtrier

qui n'a plus rien à avouer

la profondeur des eaux stagnantes

les aiguilles de ma chair de glace

tournées vers l'extérieur

comme celles d'un porc-épic

les stalactites de ma pauvre âme

plantées à contre-sens

Parfois je songe aux milliers de mots

que j'économise comme un avare

où sont-ils donc ? Me restera-t-il un regard de mime

un cri de sourd-muet

le langage du sémaphore

les gestes des clowns

à la bouche cousue ?

Les images se précipitent

comme un troupeau de bisons

dans un désert

Bousculade infernale à en frémir

après ce n'est plus que poussière

le grondement sourd de la fin du monde

la mort ou la folie d'Alzheimer

Langage de fou

ou de vieillard avant d'être vieux

absence de sens

tissage de contresens

hoquets sublimes de l'estomac

éructations

bruitage

tout se passe à l'intérieur du corps

qui ne fait que des bruits

de machine laborieuse

Ah! la belle alchimie mensongère de l'esprit

qui n'est que glouglou

borborygmes prétentieux

pétaudière

contradiction et foutaise

confusion

coma éthyliqie

Oui

plus de sons sur mes cordes vocales

cordes à linge délestées

cordes à sauter sans danseuses

cordes à vibrer sans musiciens

rien que des braises qui se consument

dans l'antre de ma cuisinière

et qui partent en fumée

On a beau articuler

les sons restent coincés

comme dans les rêves

l'oued est à sec

les lauriers desséchés

les pistes vont

nulle part

D'abord décoder

décrypter

démystifier

écouter les arbres

le vent

et les cigales

faire parler les hiéroglyphes des fleurs

respirer profondément

écouter la solitude et le peuplement de la mer

alors que tout chante

Entrer enfin dans le sang de l'écriture

alors seulement

sans se méprendre sur l'inévitable alternance

de la création où surgit la mort

à chaque instant

Car la naissance passe par la marée

le flux et la mouvance des flots

le sang et le sperme

la cendre

l'affolement

la multiplication et le cancer

l'anarchie et la mort

l'angoisse du néant

mais aussi la lactescence des mots

Tout se projette dans l'univers

même si c'est pour y mourir

la violence

la lave et l'ouragan

les fenêtres les portes s'arrachent au visage

les femmes s'ouvrent se déchirent

sous le scalpel de l'écriture

Tout dire ne jamais se taire

enfanter le sable des plages

les récifs de la mer

les arbres de soleil

l'inaccessible étoile

l'impossible archipel des mers australes

les enfers de nos têtes

nos peurs les plus secrètes

les mots de feu qui nous pénètrent

comme des pensées de chair

et des sexes en rut

Etre un fleuve

un océan

un gouffre

un aven sur le ciel

être la fange et la lie

dans laquelle germe

la vie.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu vois Jean, moi, quand je lis ça j'ai plutôt envie de te demander : Il sort quand ton prochain bouquin ?

Anonyme a dit…

Merci beaucoup, tu es gentille !

Constance a dit…

Oh non, pas gentille !! C'est quoi ça ? Le blues automnale ? Ce n'est jamais de la gentillesse quand on dit qu'on aime une écriture !! Au pire, on ne dit rien. Mais quand on aime ... On aime. Bon, je file mon train ne m'attendra pas.A très bientôt.

Anonyme a dit…

Tu me réchauffes le coeur, Constance, et il me semble que j'en ai besoin

Cristina a dit…

Pour répondre à ta question, le ruisseau Sait Hadelin se trouve à Celles, très près du chateau de vêves, tu connais??
Je viens de lire ton texte...plusieurs phrases m'ont fait mal à l'âme...
Merci pour ces beaux mots.

Anonyme a dit…

Je connais le château de Vêves. La région est très jolie. J'aime les ruisseaux rapides et clairs. J'aimerais aussi que mon écriture coule comme un ruisseau. Ce n'est pas toujours le cas. La preuve, ce que j'en dis dans ce long texte pas très gai, tout compte fait. Qu'est-ce qui nous pousse à vouloir exprimer ce qui est au fond de nous. Est-ce que c'est intéressant pour les autres? Le silence n'est-il pas plus beau que le verbiage des poètes et leur vague à l'âme ?...