jeudi 14 août 2008

La jeune fille disparue


Photos Marianne mai 2007



C'était le jour de l'enterrement du père. L'église était pleine autour de sa dépouille. Dans la foule, les trois filles, très proches l'une de l'autre priaient ou semblaient prier: les deux vivantes et l'âme de la plus jeune, réfugiée dans les fleurs de la couronne mortuaire afin d'être plus près du père. Il y avait aussi le fils. Leurs enfants, Pascal. Leurs petits enfants, David, Jean-François et d'autres dont je ne savais plus le nom. Arrivé dernier dans cette famille, je me sentais parmi eux comme un parent, un mari et un frère.


La pluie avait cessé de tomber. Le ciel avait commencé de se lever. Les cimes se découvraient. Les vendangeurs travaillaient dans les collines. Le père n'avait pas attendu la fin des vendanges pour arrêter son chemin dans les vignobles où hier encore il se promenait.


La fille aînée pleurait qu'il en fut ainsi. La seconde ne pleurait pas mais souffrait à l'intérieur d'elle-même. Le musicien, après l'épître aux Corinthiens, avait tiré des accents élégiaques de son violoncelle. La foule était transportée de tristesse en entendant la musique. Dans l'église, il y avait aussi le père du musicien, un vieillard grand et noble, et la mère, petite, ronde et pleine de vie.


Le fils écoutait, le visage buriné, un peu ombrageux, l'allocution du prêtre qui parlait de son père comme s'il l'avait connu mieux que lui. L'image du défunt se construisait au fur et à mesure qu'il les décrivait, lui et sa famille. Car on ne peut décrire un homme sans évoquer la descendance qui porte sa marque. Peut-être était-ce l'image la plus juste que l'on n'ait jamais dessinée avec le crayon noir de l'amour ? En vérité, de l'intérieur de soi, il n'est pas sûr que l'on ait de quoi comprendre et mesurer tout ce que l'on vit.


Il est possible que l'âme de la fille disparue trop tôt pensait, en écoutant le prêtre, que la vie n'aurait pas été la même, ni pour le père ni pour la mère ni pour personne, si elle était restée là au lieu de quitter sa famille pour toujours. Peut-être aurait-on vu les trois filles se partager l'amour du père, la fille du milieu être plus douce et plus proche dans son éloignement, le fils seconder son père dans l'amour des quatre femmes et la mère vivre plus sereinement dans le calme du grand jardin dont les portes se seraient ouvertes sur les vignobles et la montagne.


Au milieu, certes, restait la grande maison, dont le jardin bordait le cimetière semblable à un tapis de fleurs émaillé de bois et de pierre, où toute la famille pourrait se rencontrer dans le souvenir des parents défunts.


Le père n'aurait pas loin à marcher pour rejoindre sa femme décédée avant lui. A peine cent mètres. Il passerait tout près de l'endroit même où le corps de sa fille disparue avait quitté la terre aujourd'hui recouverte de bégonias rouges sous les arbres qui jaunissaient dans le ciel enfin bleu.


Au loin, la chaîne de montagnes brillait intensément au-dessus des nuages. Le prêtre la regarda à la sortie du culte et dit:"Que Ta volonté soit faite."
J.B.

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