mercredi 10 décembre 2008

Le voyage de la Veuve


Le film de Philippe Laïk et Jean Samouillan « Le voyage de la Veuve » a donc été projeté mardi 9 décembre, à 20 h50, sur France 2.

Il relate très (trop) librement le transport de la guillotine de campagne du bourreau parisien Deibler, de Paris à Furnes, en Belgique, en mars 1918, en vue d' y exécuter un Maréchal des Logis artilleur flamand, Emile Ferfaille, condamné à mort à la suite de l'assassinat perpétré sur sa fiancée, de manière particulièrement odieuse, et que le Roi Albert n’avait pas, à juste titre, voulu gracier (la grâce étant depuis plus d'un demi siècle accordée automatiquement par le Roi des Belges qui commuait la peine de mort en détention perpétuelle).

Il s’agit du même sujet que François Sureau avait traité dans son livre « L’Obéissance », paru chez Gallimard. On se souviendra que cet auteur, salué par une presse mal informée sur le contexte historique des évènements auxquels Sureau s'était référé erronément ( voir les billets de mai 2007 du blog "Jean Botquin. Ecrits" et mes articles dans La Libre Belgique et le Vif Express), et qui notamment avait fait preuve d'une piètre connaissance de la géographie de la Belgique, avait pour cet ouvrage reçu un premier prix du roman historique. Sans doute n'y avait-il pas au sein du jury de ce prix un critique historique suffisamment informé, lui aussi.
Le livre de Sureau précédant le film de Philippe Laïk, on peut supposer qu'il l'ait lu ou qu'il s'en soit (vaguement) inspiré. Je pourrais supposer aussi qu'il ait découvert d'autres sources (Siegfried Debaeke) ou les miennes. Philippe Dutilleul de la R.T.B.F (buy buy Belgium) qui travaillait à un projet de film sur Deibler et Emile Ferfaille et avec qui j'avais été à Furnes pour visiter les lieux du crime a donc malheureusement été doublé. Dommage, le sujet aurait, je pense, connu un développement plus sérieux et moins grandiloquent.

Le film de Laïk a été tourné dans la Mairie de Tourcoing , le Fort de Seclin, la campagne de Bouvignies et sur un canal du Nord de la France (sensé, je pense, représenter le Canal de Nieuport ou un affluent de l’Yser ).

Comme dans le livre de François Sureau, Deibler et ses deux adjoints sont accompagnés d’une escorte (un sous-lieutenant, un caporal, des soldats et même une infirmière- Nannon qui vient rejoindre le groupe en cours de voyage-), mais au discours plus terre à terre. Un bombardement, en amont de la voie de chemin de fer, interrompt le déplacement vers Dunkerque où Deibler devait se rendre pour atteindre Furnes par la région côtière encore libre de circulation.
Ce qui devait arriver arrive, la guillotine bifurque vers le front et Deibler se fâche. Cependant Laïk lui fait penser et dire qu'il n’a pas le choix, devoir et conscience professionnelle obligent. Les obus tombent (de gros pétards qui, à un moment donné, forcent les personnages de l'escorte à revêtir des masques contre les gaz moutardes. La scène prend des allures de mascarade). Le caporal de l'escorte est tué, plus loin c’est un soldat, jeune et sympathique, qui passe l’arme à gauche. Tant de morts pour exécuter un criminel qu’on aurait pu fusiller tout simplement ! L’officier explique sèchement que Ferfaille n’est pas un criminel de guerre mais un assassin de droit commun qui ne mérite que la guillotine.
Une explosion met à mal les caisses de Deibler. Le voyage se termine ? Non ! Deibler fera monter la guillotine au bord d'une tranchée pour voir si elle tranche encore correctement, car il ne veut pas décevoir le Roi des Belges et le forcer, contre son gré, à gracier quand-même le meurtrier, la coutume voulant que le condamné ne soit pas exécuté si le couperet ne descend pas jusqu’en bas des bois de justice pour terminer son travail. Et l'on voit ainsi se dresser les bras de l' échafaud dans le ciel tourmenté !

A 5 km de Furnes, on passe la frontière belge (sic) – une fois de plus la géographie des Français bat le beurre, peu importe, le cochon-spectateur n'y verra que du feu.

Tout se met en travers de la route de Deibler, la nature (la pluie, et la boue – on se croirait dans la Bérésina de la campagne de Russie –) et la guerre.
Comme dans « Indigènes » des Sénégalais dont le plus bavard donne du « Monsieur de Paris » à tout moment, font leur apparition, presque un rayon de soleil noir sur fond d’anti-racisme ou de racisme ( selon le côté où l'on se place).
C’est ensuite au tour des Anglais à se manifester, accompagnés de prisonniers allemands, belle occasion pour l’officier français de donner une leçon de politesse et de morale internationale aux soldats prêts à découdre du boche innocent.
Et, j'abrège, à la dernière minute, la guillotine installée fièrement dans le Fort de Seclin risque sa peau avant de s’occuper de celle de Ferfaille, grâce à un obus ou une bombe qui la rate de peu .
On constate que le réalisateur a réuni tous les ingrédients pour que la mayonnaise prenne et que le film tienne l'écran pendant la durée qui lui est imposée. Tragicomédie, farce, j'étais disposé à m'amuser. Le début du film ne me déplaisait pas. J’adore les trains à vapeur anciens et leur voyageurs aux gueules patibulaires. Jusque là, l’histoire était assez conforme à la réalité que je connais bien. Hélas, je connais aussi la Flandre Occidentale et la région de l’Yser, celle de Tourcoing et de Lille d’où ma famille du côté maternel est issue et où j’ai passé de nombreuses vacances. J’ai eu du mal à lâcher bride à mon imaginaire. Epopée, voyage d’Ulysse terrestre, cheval de Troie cachant mal une guillotine rendue ridicule, discours rabâché sur les horreurs de la guerre et sur l’absurdité des hommes et des administrations qui nous gouvernent, je ne pouvais rien prendre au sérieux. Puis, trop c'est trop. Comment y croire quand la vérité connue est presque totalement étrangère à l’anecdote créée et amplifiée pour les besoins du spectacle. Car, lorsque Philippe Laïk déclare à un journaliste du Soir: "J'ai été sidéré. Tout ce périple dans un pays rongé par quatre ans de guerre, dans l'unique but de tuer une personne supplémentaire..." il oublie que le périple tel qu'il le raconte, c'est lui qui l'a inventé, en en remettant quelques couches, pour corser l'affaire et tenter de la rendre efficace aux yeux des spectateurs du film du mardi soir. Car, à l'époque, le voyage de la Veuve s'était relativement bien déroulé par deux trains consécutifs et un camion de l'armée belge. Des déplacements de guillotine n'étaient pas rares. Ils n'avaient pas de quoi étonner les contemporains d'alors comme aujourd'hui.

Du coup, le récit et les personnages me sont apparus comme artificiels, ridicules et misérables. Pourquoi n’avoir pas étudié Deibler et son horrible fonction de façon plus approfondie plutôt que de faire croire à ce qui n'a pas été et, je le concède, à ce qui aurait pu être dans le pire des cas, si Deibler avait vraiment été courageux ? Or, les véritables évènements et les mémoires de Deibler ont démontré qu'il était couard et qu'il avait peur de mourir et donc qu'il aurait vraisemblablement rebroussé chemin comme il a eu envie de le faire, à un certain moment du film de Laïk .
Par ailleurs, l’entourage notamment familial de Deibler ne valait-il pas que l’on s’y attarde ? Le personnage du meurtrier et son procès méritaient, eux aussi, plus d’intérêt.
Bien sûr, ce n'est pas ça que les réalisateurs ont voulu faire. Ils voulaient faire un film de guerre pour le nonantième anniversaire de la fin de la grande Guerre.
Que feront-ils quand il n'y aura plus de guerre à raconter? Et bien, ils en inventeront; ils ne manquent pas d'imagination.
Mais quel est donc " cet ami belge qui a raconté à Philippe Laïk l'histoire de l'exécution de Ferfaille , comme on a eu l'occasion de lire dans le journal "Le Soir", et qui l'a tant sidéré?
N.B. Consultez également le blog de Daniel Fattore et La traversée de la passion. Le premier a fait un commentaire sur le livre de François Sureau et le deuxième sur le film de Philippe Laïk. Voir la rubrique Liens de mon blog.

3 commentaires:

➔ Sill Scaroni a dit…

Bonjour
Votre blog est très intéressant.
Salutations.
Sill

Anonyme a dit…

Merci infiniment. Je viens chez vous...

Anonyme a dit…

merci de votre passage chez moi
j'ai répondu à votre commentaire mais je vous fais part ici de mes réflexions qui ne sont absolument pas polémiques... si vous le permettez...
Bonjour et merci du renseignement
le fond de l'histoire reste pour moi le même : pourquoi faire tant de manières pour tuer un homme de plus dans une guerre qui en massacre des millions et de façon souvent bien plus horrible...
l'absurde et la dérision...
c'est ce que j'aime...
vos remarques sur le personnage de Deibler et son "métier" sont fort justes et intéressantes
...même si l'auteur du téléfilm a sérieusement "enjolivé" le reste... c'est son droit, je pense...
quant à ses affirmations sur l'authenticité de l'histoire je pense qu'elles ont été faites de bonne foi...
J'ai vu dans "le voyage de la veuve" une occasion supplémentaire de fustiger la guerre et l'infâmie de la Raison d'Etat...
rabachage infantile ? peut-être ? il était inutile d'insister lourdement par des clichés maldroits ? c'est le reproche que je fais au film : vouloir démontrer qu'il n'y avait qu'à raconter, montrer un film somme tout agréable...

Le célèbre film d'Autant-Lara et Jean Aurenche "l'Auberge Rouge" a fait frissonner et rire la France entière et il ne contient pourtant pas une once de vérité historique ! par ailleurs je ne prétends pas être historien, ni critique, ni moraliste...
je livre mes opinions
merci encore
amicalement
jean-marie m.