jeudi 31 décembre 2009

"Mots et sang des femmes" d'Ariane François-Demeester, enfin réédité.


Voici une de mes lectures récentes que je n'ai pas hésité à préfacer, à la demande de l'auteure. C'est un recueil de poésie totalement incontournable.

Expliquez-moi pourquoi, ayant relu plusieurs fois le long poème d’Ariane François-Demeester « Mots et sang des femmes », j’ai eu envie de relire l’Ode maritime d’Alvaro de Campos, un des hétéronymes de Fernando Pessoa. Ce que j’ai fait sans plus attendre, d’une traîte, le livre ouvert entre le soleil et mon visage, allongé près de mon pommier.

Dans ces deux textes continus et presque de même longueur, il y a, j’en étais sûr, la même force, la même profusion verbale, la même richesse poétique, dont on sort envoûté, pris aux tripes, secoué, essoufflé, ému jusqu’aux tréfonds de son âme. Deux thèmes cependant totalement différents, deux poètes qui sont aux antipodes l’un de l’autre dans leur création.

Pour bien faire, il faudrait aussi préalablement reprendre la lecture d’un recueil publié par Ariane dix ans plus tôt, « Mots sans propriétaires », afin de mieux comprendre le cheminement de la poétesse vers l’appréhension du langage, vers ce stade d’une évolution où les mots sont à elle, ces mots dont elle a fait un ouvrage couronné (Prix Delaby-Mourmeaux, 1998), « Mots et sang des femmes ».

Quiconque a lu son dernier livre « Le temps des mangues vertes » sait aujourd’hui qu’Ariane est d’origine flamande; les circonstances de sa vie l’ont orienté vers le français qu’elle a donc appris plus tard. Le français n’est pas sa langue maternelle au sens strict, c’est à dire la langue enseignée par la mère, par celle qui donne la vie aux enfants, le sang, le sein et la tendresse. Ainsi, Ariane est née deux fois, cependant la seconde fois elle s’est mise au monde toute seule.

En plus de l’apprentissage du français qui deviendra sa langue d’écrivaine, elle est entrée dans le foissonnement de la faune et de la flore africaines qui s’est imposée à elle, avec sa structure verbale propre, ses sonorités vespérales et nocturnes, ses sombres résonances dont elle continua à vibrer longtemps après avoir quitté la jungle et les savanes.
Á travers cette expérience, à mi-chemin entre la préhistoire et l’histoire, Ariane découvre la génèse du langage où les mots sont d’abord des sons inarticulés – sifflements, grognements, imitations sonores- avant de s’organiser sur les créatures et les choses qui s’offrent aux regards, à l’emprise, au toucher, à l’odorat et enfin à la désignation et la signification.
Où peut-on mieux découvrir la naissance des mots que dans ce contexte archaïque où les sons viennent des femmes qui donnent naissance à la vie ?
En Afrique, le langage baigne dans un océan de couleurs, une végétation tropicale exubérante qui le transforme, chez les artistes, en une dynamique dont Ariane, à son tour, s’est appropriée avec un talent incontestable. Nous sommes loin de « Mots sans propriétaire »…

Retenons que, selon l’auteure, le langage primitif appartient d’abord à la femme qui le passe à ses enfants. Car les mots et le sang se confondent. Tandis que l’homme, ce chasseur chargé de nourrir les membres de sa tribu, n’en assure que le relais. Plus tard, cependant, vers la fin de ce poème aux allures éminemment baroques, les mots finissent par appartenir à un ensemble partagé dont l’homme fait partie.

Mais que se passe-t-il lorsque la femme renonce à jouer son rôle de metteuse au monde, d’entremetteuse de mots, elle qui détient le trésor du langage ? Par le fait de renoncer à mettre au monde, perdrait-elle le pouvoir de divulguer la parole ? D’ailleurs, est-il vrai qu’elle possède ce trésor ? Ne doit-elle pas constamment le conquérir ?
Je ne répondrai pas à ces questions dont la terrible réponse et l’affreuse souffrance constituent peut-être la partie la plus forte de ce récit-poème bouleversant.

Bien entendu, le poète qui comme tout un chacun hérite d’un langage est vite confronté au combat amour-haine qu’il porte en lui quand il veut l’utiliser et le dompter. Mettre un texte au monde, est-ce l’engendrer simplement ou le créer de toutes pièces avec beaucoup d’efforts ? La poétesse a beau affirmer :

ils sont à elle, les mots
pendant que la marée rythme le cercle
des ondes,
ils la bousculent,
elle les serre contre elle
mais il ne suffit pas de les dorloter
il est bon de les attacher par instant
telle cette lionne dont les morsures arrachent l’espace,
ou cet esclave qui dérobe la soie des discours,
ou encore ce dément propageant des cris solaires.

Cette conquête n’est jamais terminée, les mots ne se laissent pas faire et créent des surprises inattendues. La force contradictoire du poème d’Ariane François-Demeester est précisément d’affirmer cette vérité en démontrant le contraire tellement la maîtrise du verbe, dans ce texte, est grande et sa beauté voluptueuse incandescente.

jean botquin


Patch Editions, rue du Patch n°1c B1330 Rixensart Belgique. 12€.

Le recueil peut être obtenu également chez l'auteure, par la poste, au prix de 14 €, port compris.

Adresse: Ariane François-Demeester, avenue du Hoef, 26 Bte 1, B1180, Bruxelles, Belgique.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir un blog interessant