dimanche 3 août 2008

Les Chinois de Noyelles-sur-mer





Un cimetière militaire ? Oui et non. En tout cas, huit cents tombes, bien alignées, fleuries comme celles des soldats de la grande guerre, morts pour leur patrie ou pour la bêtise des hommes, envoyés se faire broyer par millions par des généraux stupides, ivres de gloire posthume, celle de la chair à canon. Quand on roule vers cette baie de Somme, en somme on ne voit que ça, le long des routes. De beaux cimetières, le doigt sur la couture du pantalon, des alignements impeccables comme aux parades militaires, avec la musique du silence par dessus le marché après le bruit de bronze de la première guerre.

Le chemin monte vers le portique en forme de pagode. On pousse la grille de fer forgé qui grince à peine, huilée régulièrement par les propriétaires de cette exterritorialité, les Britanniques du Commonwealth. On entre sans faire de bruit. Quelques oiseaux s'envolent et vont se nicher dans les vieux sapins qui trônent au centre du recueillement. Nous sommes seuls. Si je savais encore prier, je le ferais mais dans quelle langue, et à quel Dieu adresser ma prière dans ce cimetière qui n'est même pas de ma religion lointaine ?

Il en mourrait tous les jours, parfois plusieurs par jour, comme à la guerre mais ce n'était plus la guerre. En dessous des noms en écriture chinoise, on lit en Anglais 1919, avril, mai, juin...1919, le 11, le 12, le 13...juillet 1919, etc... Et comme cela pour les huit cents, sans en oublier aucun. Tous morts après la guerre, à moins que ce corps spécial n'ait pas eu connaissance de la fin des "festivités" et ait donc continué à se battre contre des fantômes, comme de braves chinois qu'ils étaient. En chantant:"Nuit de Chine, nuit d'amour, nuit de mort."

Non, on les a alignés pareils à des soldats qu'ils n'étaient pas, venus de Chine pour réparer ce que la guerre avait détruit, routes et voies ferrées; bons ouvriers ou esclaves, main-d'oeuvre à bon marché, parquée dans des baraquements construits pour eux dans la campagne de Somme pas loin de Noyelles-sur-mer, en somme en paradis de Picardie.

Alors, de quoi sont-ils morts, les chinois de Picardie? Va-t-en savoir? Pas de vieillesse mais de maladie, -du choléra ou de la peste-?, d'épidémie, ils tombaient comme des mouches, déja plus faibles que les autres, arrachés à la vie par la grippe espagnole.

Ils étaient tous de la même province, aussi on les a laissés ensemble dans le même cimetière, en rang d'oignons, tous sous une stèle identique, avec dessus leur date de décès, et leur nom qu'aucun chrétien ne sait lire, et leur appartenance au corps spécial de travail de l'Armée anglaise. Ce n'étaient pas des soldats, mais bon, c'était tout comme, des mercenaires d'après guerre. On a brûlé leurs baraquements. Alors tant qu'à faire, on a creusé leurs tombes sous la cendre pour en faire ce joli lopin de cimetière. C'est ce qui s'appelle du savoir faire ou encore du savoir vivre à l'Anglaise.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà un cimetière dont je n'avais jamais entendu parler
Ainsi que cet épisode "chinois" de l'après grande guerre...
La grippe espagnole, ça serait plausible non?
C'est curieux...

jean.botquin a dit…

Oui, c'est bien de la grippe espagnole qu'il s'agit et qui a fait des millions de victimes. Nous avons bien failli ne pas être là...Je trouve que nous sommes vraiment peu de chose, et que le destin est inexplicable.