Du 22 au 23 mars, les louviérois ont donc fêté le carnaval de Laetare. Les gilles se lèvent très tôt, le dimanche matin, pour endosser leur costume traditionnel bourré de paille qui les transforment en bossus à la poitrine opulente.
Les portes des maisons de gilles sont ouvertes pour accueillir les voisins, membres de la famille et amis
.
Sur les tables sont alignés les verres à champagne qui ne cesseront de se remplir pour les gens qui affluent et qui, plus tard, suivront les groupes se rendant au local où tous les gilles d'une société prendront leur petit déjeuner (huîtres arrosés de champagne).
La nuit fraîche résonne du bruit des tambours ponctués, de temps en temps, d'un petit air de clarinette signalant le début d'une aubade pendant laquelle les gilles dansent de leur pas caractéristique faisant claquer les sabots sur la chaussée. Parfois même, après le verre de champagne, c'est à l'intérieur des maisons qu'ils dansent sur les parquets, planchers, sol grossièrement protégé, en guise de remerciement pour l'accueil de leurs hôtes. Personne ne s'en offusque, bien au contraire, même si la maison tremble sur ses assises quand les coups de mailloches sur les grosses caisses crèvent les tympans.
Comme ils dansent à chaque endroit où ils ramassent un gille qui rejoint le cortège, le groupe n'avance que lentement. Petit à petit, toute la société est réunie pour entamer une journée qui sera longue et qui se finira par un dernier rondeau éclairé de feux de Bengale ou d'un feu d'artifice.
Pendant toute la journée et une partie de la nuit, les cafés ne désempliront pas, l'on boira beaucoup, du champagne ou de la bière.
Vers onze heures, les sociétés de gilles se rendront avec leurs fanfares au centre de la ville. Elles se déplacent à la vitesse des escargots. Chaque société s'arrête quand l'envie lui prend
de danser, face aux musiciens, des faiseurs de bruit, tamboureurs, batteries et grosses caisses couvertes de peaux de veau, bugles, trompettes, bassons, tous cuivres tonitruants qui provoquent, chez tous, ces mouvements cadencés d'une transe communicative et incontrôlable. Le rythme vous gagne très rapidement, même si vous n'avez pas envie de danser. Moi-même ne résiste pas, bien que je ne sois pas né à La Louvière et que la danse ne soit pas mon fort..
Les groupes de gilles débouchent de toutes les rues adjacentes, notamment de la place de la Louve (voir photo), sur la place communale où tournera le rondeau traditionnel du dimanche midi. Ils forment une immense ronde, se tenant par le ramon (petit faisceaux de brins de bois) de la main droite dans la main gauche. Les rondeaux sont toujours spectaculaires et majestueux. Les fanfares jouent à l'unisson sous la conduite d'un chef, au milieu de la ronde multicolore et des chapeaux blancs (parfois colorés, à La Louvière).
Si, à la fin du carnaval, vous n'avez pas fait votre récolte d'oranges, c'est que vous n'êtes pas bien adroit. Soit les gilles vous les offrent, soit ils vous les envoient par voie aérienne, à vous de les cueillir au vol. Celles qui manquent leur but éclatent par terre et finissent par composer une salade d'oranges écrasées inconsommable, mélangée aux confettis, dans laquelle tout le monde patauge. Ne mettez pas votre costume de dimanche si vous voulez participer à ces festivités.
Le lundi après midi, c'est le grand cortège. Il prend son départ à la Place Maugrétout, avance lentement par la rue Albert Premier et aboutit à la Place Mansart. Il lui faut plus de deux heures pour parcourir un kilomètre. Une allure de crabes parce que les gilles ne se déplacent pas sans danser de tout leur soûl. Interminablement. Quand la danse finit, elle recommence. Les louviérois font tourner les chapeaux de plumes d'autruche d'un coup de tête. Solitaires et cependant unis les uns aux autres dans un groupe qui les associe, les gilles, pendant tout le carnaval ne feront que danser, à la fin presque comme des somnambules, mécaniquement. Ensemble ils dansent seuls.
Le cortège s'ouvre avec les deux sympathiques géants de la ville, Jobri et Jobrette. Ils sont suivis par un groupe de paysans bleus et blancs qui, eux aussi, jettent des oranges dans le public.
...le feu éclaire les visages....Le ciel est noir au-dessus des escarbilles qui s'envolent dans la brise. Le gibet s'écroule dans un long sanglot tandis que les tambours et les caisses reprennent vie...et que les sabots réveillent la cadence."