mardi 29 mars 2011

Les peaux de chagrins. Extrait de"Le Passeur d'un fleuve trop court" de Jean Botquin.


Maintenant, oui, je sais tout de l’ignorance, comme dans les rêves qui me hantent. Je suis entré en ta douce folie d’oiseaux inconnus. J’ai compris combien nos âmes sont abandonnées, dépouillées de leurs frémissements. Car les roses ne s’empourprent que le soir, les regards s’effeuillent, les montagnes noircissent leurs cimes, la neige fait nauvrage, l’éternel n’éternise plus les champs de fleurs. Les plages sont étroites, on s’y tient à peine debout, la mer caresse la mer et la brise du soir brise le soir. J’ai un goût de sel à la bouche, je suis nu et crispé sur de vains souvenirs. Je me prends à la gorge comme si je voulais mourir, il n’y a plus d’adieux, je dérive droit devant le couchant de l’illusion qui m’attache mais te fait mentir et vomir les chaloupes de nos cœurs évanescents silencieux et endoloris. Doigts crispés sur de vains souvenirs, car c’est la dérive conjuguée à nos vertiges. Et puis tu es là toujours comme si tu n’étais pas disparue, avec ton cri d’oiseau, avec ton cri de peur et ton désespoir inutile. Toi tu es d’Amérique et moi d’Asie, à deux encablures à peine l’un de l’autre. Je te cherche encore à travers l’histoire qui s’écoule, je te sculpte avec mes mots sur un médaillon ou un bas-relief de vocabulaire qui s’affuble de masques et de rêves. Il y en a dont la quête ne porte que sur des restes d’amour évaporé le long de volcans endormis. Je m’étais posé entre deux battements de ton cœur, la tête balançant d’une oreillette vers l’autre. Je pensais que les baies s’ouvriraient pour laisser entrer les hortensias des jardins dont tu vêtirais les nuages. Je tissais le fil d’or de la souvenance, en m’éblouissant du présent. Longtemps je suis resté, tant de jours plus tard, en vigie devant le soleil qui s’engloutissait dans la mer, à compter les espaces séparant les gestes qui suspendent les lustres de Byzance. Et sans doute n’ai-je cousu que des peaux de chagrin avec le fil de ma mémoire. Jean Botquin 1998

2 commentaires:

Danièle Duteil a dit…

Bercée par le rythme qui berce, s'amplifie puis se resserre pour finalement lâcher prise. Un chant superbe !

jean.botquin a dit…

Certains textes ne résistent pas à l'usure du temps, pas celui-ci qui m'émeut aujourd'hui autant qu'à l'époque de son écriture. Merci Danièle pour votre compréhension et votre sensibilité.