vendredi 3 janvier 2014

Nouvel extrait de mon roman "La blessure de l'obsidienne"

Nouvel extrait de mon roman "La blessure de l'obsidienne"


Quatrième lettre à Franz Kappus

Ils sont descendus, elle a ouvert la fenêtre, elle s'est mise sur le lit, Jacques s'est assis à côté d'elle. Il s'est déshabillé le premier, trois pièces seulement, le pantalon de toile, la chemisette, le slip. Elle aussi, les jeans qui avaient laissé une marque rouge à la taille, le tee-shirt, la petite culotte qui termina sa course en boule au pied du lit. Ils restèrent sous la douche, longtemps, d'abord sans bouger, puis en tournant lentement sur eux-mêmes les mains nouées comme en prière, les visages confondus dans le giclement de l'eau, leurs respirations soudées. Ils se taisaient encore. Ils ne pouvaient parler, leurs coeurs battaient dans leurs corps transis. Leurs mains glissaient, leurs courbes s'épousaient. Et tandis que leurs ventres se creusaient, un chant brûlant les unissait.


Il y a trop longtemps, viens,
lentement, viens, lentement, oui, viens, comme ça,
non, viens, autrement, vite, oui, viens plus vite,
autrement, encore, reste, oui, reste, ne bouge plus, ne bouge pas, comme un navire, comme un torrent, comme un arbre de vie,
épines, feuillages, écorce où s'agrippent les griffes de l'écureuil,
les griffes légères, rapides, insistantes,
comme une envolée d'oiseaux, comme un essaim de paroles, comme une ruche de caresses.


Alors, quand ils se furent apaisés, ils pensèrent tous les deux au texte de Rainer Maria Rilke qu'ils avaient lu pendant le voyage et qu'ils ne pouvaient oublier, ni l'un ni l'autre :

"En une seule pensée créatrice revivent mille nuits d'amour oubliées qui en font la grandeur et le sublime. Ceux qui se joignent au cours des nuits, qui s'enlacent, dans une volupté berceuse, accomplissent une oeuvre grave. Tous ils appellent l'avenir. Et même quand ils font fausse route, quand ils sont aveugles dans leurs étreintes, l'avenir vient."

Sans doute étaient-ils aveugles et ivres d'une joie obscure. Ils ne savaient rien de ce qui les attendait. Où iraient-ils après cette première nuit ? Personne ne pouvait dire s'ils faisaient fausse route. Ils ignoraient tout d'un avenir possible. Ils ne se connaissaient pas encore et croyaient tout savoir de l'autre. Ils étaient étonnés que cela soit arrivé, d'un coup, simplement parce que leur solitude était trop lourde, et sûrs que cela leur arriverait, grâce à Trébizonde et à Urfa, grâce au fait qu'ils s'étaient à peine parlé et qu'ainsi ils s'étaient tout dit. Oui, ils étaient aveugles de leur âge et de leur passé, aveugles de leur premier mariage détruit qu'ils pensaient pouvoir abandonner derrière eux comme une peau de chagrin, comme le corps d'une chienne cancéreuse jusqu'à la moelle épinière et qu'ils auraient choisi de libérer de la souffrance.
Plusieurs fois, au cours de cette longue nuit, ils retournèrent sous la douche et, sans s'essuyer, refirent l'amour.

Quand le jour commença de rosir au-dessus des toits, Jacques quitta Tania-Maïté. Il alla jusqu'à la terrasse de l'hôtel. Il regarda la ville encore assoupie et les lumières qui, ça et là, s'allumaient.

Photo prise en Cappadoce (Turquie).

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