vendredi 27 février 2009

Le tamboureur de l'an neuf


Le texte que je publie aujourd'hui n'est pas un inédit. Il a été inspiré, presque à contrario, par les tamboureurs (terme d'idiome de la région du Centre qui désigne celui qui joue du tambour) qui accompagnent les gilles dans tous leurs déplacements pendant les jours de carnaval.






Le tamboureur n'avait pas dormi de toute la nuit écoulée à attendre l'instant merveilleux où il traverserait la ville, en roulant du tambour pour faire éclater le silence et s'ouvrir toutes les portes de l'an neuf. Depuis longtemps, on décomptait les jours qui séparaient le monde du passage au troisième millénaire comme s'il fallait préparer l'arrivée d'un temps d'une autre couleur ou d'une essence différente. On en parlait dans les veilles des villes et des campagnes. On en chuchotait même dans les nuits d'amour. Le tamboureur, lui, se taisait. Il astiquait son tambour, se massait les poignets d'une huile de sa composition, faisait ses gammes, répétait le battement long, à la fois sinistre et joyeux, dont résonneraient les remparts avant que le jour se lève sur un nouveau millénaire.


Quand le tamboureur ouvrit la porte de la rue, la nuit s'engouffra dans le vestibule, accompagné d'un froid glacial. D' abord il recula, effrayé par le silence quasi désertique qui descendait des remparts. Puis il s'élança tandis que ses poignets commençaient à faire tourner les baguettes, par rafales stridentes. La caisse claquait sèchement sous la peau tendue. Son pas prit de l'assurance au bruit enfin libéré du tambour.


Le tamboureur se dirigeait, seul, vers les murailles qui encerclaient la ville, précédé et suivi d'un roulement sonore, impatient et victorieux, capable de réveiller morts et vivants endormis. La caisse sonnait matines sous la voûte encore étoilée de la nuit finissante. Elle crevait les tympans de la ville déserte. Oui, déserte, car rien ne bougeait. Portes et fenêtres restaient fermées. Pas de regards derrière les rideaux, point de lumière derrière les vitres comme on en voit parfois pointer timidement lors des veillées ou au réveil matinal des ouvriers qui partent au travail. Les réverbères ressemblaient à des cages vides.


Ville morte désertée à tout jamais par une population entière, figée dans un passé dépassé par le temps.




Et c'est ainsi que le tamboureur entra, seul, avec le fracas de son tambour de jugement dernier, au sein d'un nouveau millénaire de solitude.




Jean Botquin

4 commentaires:

pierperrone a dit…

Jean, le tamboureur marque le temp. Il fixe les regles du temp, au moins pour le temp quand il joue du tanbour.
Il fixe le temp que les soldats doivent employer pour arriver sur les lieux de la defait, ou de la victoire. Il fixe le temp de la vie e de la mort pour beaucoup d'hommes, sur les champs de bataille.

Mais il fixe le temp pour la danse, qui fait prendre d'amour hommes et femmes. Et ainsi il fixe le temp pour l'amour.

Et il fixe le temp pour les saisons, qual il joue le rythm de Carnival, ou des fetes.

Et aussi le musiciens suivent ses ordres bruyants...

Anonyme a dit…

"un passé dépassé par le temps" , voila le genre de "mot" que je garde longtemps en bouche, fais rouler de langue en palais et puis d'une joue à l'autre ; roulis et tangage qui sont une véritable gourmandise.
J'aime ce terme de "tamboureur", brut, précis et évident, délicieusement "terroir" à l'inverse du vaniteux "tambourinaire".

Anonyme a dit…

Ah ce tambour dans mon coeur à chaque marche montée sur l'escalier du temps, si je regarde derrière, il s'accélère, si je regarde devant il s'accélère, alors je regarde plutôt celui qui monte avec moi
isabelle-rose p.

jean.botquin a dit…

Très beau votre réflexion Isabelle-Rose !