mercredi 9 avril 2008

Le bonheur de vivre





En 2002, je publiais un recueil du titre « La mer occitane », écrit à la suite d'un séjour de vacances en Catalogne française, en 1998, avec la femme que j'avais rencontrée, peu avant ma mise à la retraite.
Après des années difficiles, je renaissais à la joie de vivre, grâce à la redécouverte de l'amour, dans sa plénitude et sa liberté. Un miracle inespéré! Je sortais d'un monde de mensonge, d'hystérie et de solitude insupportable.
Ma vie professionnelle s'étant terminée, je pouvais en recommencer une autre, celle à laquelle je rêvais depuis longtemps. Bien avant de quitter le monde des finances, j'avais expérimenté que l'écriture, l'agencement des mots, la construction de phrases, la création d'un imaginaire opposé à la matérialité, m'apportait une grande joie intérieure. Devenir un écrivain heureux, ou plutôt - restons modestes- un homme heureux qui écrit, ou heureux parce qu'il écrit, est-ce possible ? Etait-ce un objectif à atteindre ? Compte tenu des caractéristiques de la société où les gens qui écrivent cherchent leurs marques, ce bonheur-là, cependant, est difficile à réaliser. Très vite, la question de la réussite s'impose, comme dans toute entreprise humaine. Néanmoins, une chose est certaine, sans action l'harmonie est impossible. Encore faut-il ajouter que sans contemplation l'action ne peut, elle aussi, aboutir.
Il m'a fallu un long temps de réflexion avant de comprendre de quoi l'équilibre d'une vie se compose. Je commence, il me semble, aujourd'hui seulement, à en distinguer tous les éléments. La lenteur est sans doute indispensable à leur cohésion. Je parle de la lenteur du jardinier pour qui le temps est incommensurable. Je ne suis pas bon jardinier mais je consacre le temps qu'il faut à la contemplation de mon jardin car il me procure une grande sérénité. Et, dans mon jardin, je contemple aussi la femme qui m'a rejoint sur le tard de ma vie, en m'apportant son jardin pour que je l'aime comme elle. Et je les aime tous deux depuis près d'une décennie comme si je n'avais jamais aimé rien ni personne d'autre.
Souvent je pense que 1998 était l'année de mon big-bang, celui de la mer occitane, celui des couleurs catalanes, des abbayes romanes aux cloîtres jubilatoires d'où coulait et s'écoulait la félicité de ma renaissance tardive. Mes mains se parcheminent de plus en plus, je ne pourrai empêcher la mort d'accueillir mon bonheur.
Qui dois-je remercier ? Je ne connais pas le maître de l'Univers, je ne l'ai jamais rencontré. Je veux remercier mon père et ma mère qui m'ont donné la vie, et ma femme, la nouvelle et la dernière, celle qui, une fois encore, s'ouvre sous les roseaux de Provence pliés par la Tramontane.
Dois-je remercier Matisse à qui j'ai emprunté le titre de ce que j'écris, Le bonheur de vivre, ce tableau éblouissant sous le soleil de la Côte Vermeille, avec ces corps de femme qui s'offrent à la vie sous les oliviers ? Oui, sans doute, j'ai envie de le faire tellement je me suis senti envahi par l'exubérance de sa sensualité.
Nous sommes allés à Collioure, fêter notre anniversaire, l'anniversaire du big-bang. Nous avons retrouvé tout l'enchantement d'il y a près de dix ans comme si nous n'avions pas vieilli. Ni l'un ni l'autre. Et pourtant, je ne suis pas aveugle, je connais les rides de ma peau sous le hale du soleil et le vent du Marin, je sais mon souffle quand le chemin est plus aigu. J'hésite quand la vague est plus froide. Je ne suis pas dupe de moi-même. Je ne suis jeune que dans ma tête. Le corps vieillit, mais pas sa mémoire. Et mon coeur, lui, te regarde, ce vieux fou qui ne peut s'arrêter de te contempler quand le peu de vêtements dont tu t'habilles en vacances tombe à tes pieds pour te vêtir de mes regards sur ton corps tellement plus jeune que le mien...
Et nous regardons les paysages maritimes qui s'étalent à nos pieds, dans le chatoiement des couleurs. Bien sûr, en vacances le bonheur est facile, la vie explose. Les nourritures que tu prépares avec soin et lenteur, comme la lenteur du jardinier qui soigne ses fleurs, flattent nos narines et comblent nos regards tandis que scintille le vin des coteaux méditerranéens, caressé par un ciel lumineux. Les instants, précieux entre tous, où l'on se penche sur la vie qui dure son temps d'éternité et de jouissance forment un collier autour de l'anse du port de Collioure où se bercent les barques catalanes multicolores. Dans quelque temps, elles déploieront leurs voiles latines qui se gonfleront d'un vent très fort, courant à travers les plages bordées de pins et de roseaux, celles d'Argelès, Saint-Cyprien et leurs réserves naturelles où je t'emmènerai tout à l'heure pour jouir du soleil, a l'abri d'une dune.
Je m'y sentirai comme chez nous, protégés par les arbres et les plantes qui nous entourent. Notre bon vieux cèdre, le saule pleureur dont tu coiffes et décoiffes les branches légères sous lesquelles parfois je me cache pour lire, l'arbuste à kiwis qui a pris comme support notre pêcher et qui, si on le laissait faire, envahirait tout le fond du jardin, le figuier et l'olivier, le pommier qui nous fournit du jus jusqu'au printemps, l'eucalyptus, le magnolia, le cyprès de Provence à côté du pampa qui vient de nous offrir sa première fleur, le laurier rose qui se chauffe près du vieux mur, le sorbier, les petits cerisiers un peu maigrichons, le prunus qu'un ami d'enfance nous donna en cadeau de mariage, la haie de thuyas et de cyprès que nous laissons pousser comme ils l'entendent et qui ont transformé notre jardin en oasis citadin, le noyer qui est venu tout seul grâce à l'une des pies qui squattent le cèdre. Il se pavane, notre jardin, devant la fenêtre plein Sud du premier étage, par où je le fais entrer dans la bibliothèque du haut où j'écris entouré de nos livres. Oui, nos livres, pas les miens, les tiens ou les siens. Nous les avons tous mélangés, comme nos vies, et nous venons de créer une succursale de la bibliothèque d'en haut au rez-de-chaussée, un mur plein de littérature, de beaux-arts et de belles reliures, éclairé par la lumière et les couleurs du paradis, nos invités permanents qui poussent la porte vitrée, même quand il pleut.
Le bonheur n'est pas une potion magique. Il est fait d'amour, de choses toutes simples, de parcelles de vie, de sensualité, de plaisirs, de caresses, d'attentions, de soleil sur la peau, de saveurs, de rencontres, d'amitié, de partage, d'action et de contemplation. Chacun crée son propre bonheur selon ses moyens et ses facultés. Le bonheur n'est pas le contraire de la tristesse. Le bonheur sans tristesses passagères n'existe pas.
A la fin de notre séjour à Collioure, la mère de mes enfants est décédée. Quand je l'ai appris, je n'ai pas été surpris. Elle était gravement malade depuis plus de deux ans, incurablement. Je pense qu’elle s'est battue comme la chèvre de monsieur Seguin contre le méchant loup, l'’ histoire que son père lui racontait quand elle était petite, la même qu'il raconta aussi à mes enfants. Ma fille m'avisa seulement après le décès de sa mère pour ne pas troubler nos vacances comme si elle savait leur importance pour notre vie. Ainsi, cette mort annoncée n'a pas porté ombrage au soleil de l'Occitanie.
Je ne l'ai pas revue. Je ne le souhaitais pas. Elle ne l'a pas souhaité non plus. D'ailleurs, à quoi cela aurait-il servi, sinon à raviver nos anciennes blessures. Heureusement, quand je rêve d'elle, c'est souvent l'adolescente que j'ai aimée qui sort de ma mémoire. Cette image est inoubliable, même si je pense qu'elle a fini par la trahir. C'est cette image que je veux garder comme souvenir.
Je n'oublie pas non plus qu'elle m'a donné mes enfants, mon fils, ma fille. Je lui dois ce bonheur, le bonheur de continuer à exister à travers eux quand, moi aussi, je serai mort, le bonheur d'avoir semé la vie, le bonheur du prolongement de moi-même...
Et toi, Marianne, la femme de ma cinquième saison, je te promets de ne jamais te quitter, même quand il sera temps de me fermer les yeux je serai encore là pour te rappeler tous les bons moments de notre vie. Même au-delà de l' échéance inéluctable, je continuerai à t'aimer, à gravir avec toi les pentes du Canigou jusque dans les nuages, à regarder descendre le soleil sur toutes les îles de notre amour nomade.
Ensemble nous avons transformé la maison où tu m'as accueilli, lui donnant chaque année plus de nous-mêmes, afin qu'elle nous ressemble et que nous nous y sentions bien. Oui, le temps et l'espace sont pleins d'une vie gratifiante. Il suffit d'ouvrir les fenêtres pour nous en convaincre.

Quand je ne serai plus là - n'aie pas peur, ce n'est pas pour tout de suite- mes petits enfants remplaceront les enfants que la vie t'a refusés. Ils ont déjà commencé à t'aimer, je le sais, parce que tu les aimes. Ils auront pour mission de ne pas te laisser seule, de continuer une famille avec toi dans notre beau jardin.












mardi 8 avril 2008

20 mars 2008 - 426ieme soirée des lettres à l'A.E.B. La gondole de l'Orient Express.


Je reproduis, ci-après, le compte-rendu de la présentation de Guy Capelle, par Joseph Bodson, dans "Nos Lettres":

Jean Botquin dont la nouvelle éponyme de ce recueil a été couronnée au concours de nouvelles organisé à l'occasion du 100ième anniversaire de l'A.E.B., sera présenté par Guy Capelle, médecin, originaire de Courtrai comme lui, et qui fréquenta le même Collège.






Guy Capelle se réfère à la recension de France Bastia, dans Nos Lettres, où elle souligne l'imagination, la richesse, la précision du vocabulaire de Jean Botquin, sa sensualité aussi, une certaine ardeur de vivre.

Jean nous lit un passage de la nouvelle "Un amour délocalisé", la fin d'une lettre d'Anaïs. Une femme rêve qu'elle marche le long d'un chemin de fer, dans un chemin rempli de ronces, puis entre les rails. Elle trouve une maison blanche à la porte ouverte, y entre...

Pour le présentateur, Jean Botquin est un grand romantique, un amoureux. Mais d'où viennent donc ce titre, et la gondole ?

Elle a été inspirée par un voyage à Venise. 17.000 italiens vivent à La Louvière, et c'est ainsi que lui est venu ce rêve, transporter une gondole sur le canal du Centre, devant la Cantine des italiens. Le rêve s'est réalisé, la nouvelle a été publiée à la Louvière, après sa parution dans le Livre Anniversaire de l'A.E.B.. A l'occasion d'un autre anniversaire, celui des accords belgo-italiens sur l'immigration, les autorités locales se sont mobilisées, ont fait venir, non pas une, mais deux gondoles à La Louvière. Preuve évidente qu'une fiction peut se réaliser, que les évènements que l'on invente sont souvent la réalité. La photo de couverture est d'un ami italien, le photographe Arfeli, que l'auteur a d'ailleurs fait vivre dans une de ses autres nouvelles.

La nouvelle est un art difficile...Le présentateur se souvient d'une réflexion de Charles Bertin qui en dit long sur le sujet.

Mon épouse m'accuse d'être paresseux...plaisante Jean Botquin, et de n'écrire que des textes courts. Mais en fait, il a un goût particulier pour les récits courts. Goût qui lui vient, sans doute, de ses humanités, et de sa carrière bancaire. La nouvelle doit être précise, condensée, ne peut renfermer aucune erreur. Cela se verrait de suite. De plus c'est une sorte de défi qu'il se lance à lui-même. Il faut laisser au lecteur le plaisir de lire entre les lignes. Un récit qui tient la route même s'il est fantastique ou surréaliste, du suspense comme dans un polar, une chute inattendue. Peu de nouvelles répondent à cette définition. Et l'on peut considérer Maupassant comme un maître du genre.

Une autre nouvelle est alors évoquée, où il est question du syndrome de Stendhal: une angoisse survient devant un excès de beauté, au point de causer des vertiges. En temps que médecin le présentateur croit qu'il s'agit plutôt d'un phénomène hystérique occasionné par une hyperventilation cardiaque au cours d'une admiration excessive des oeuvres d'art...

Cette nouvelle est un texte de commande pour l'atelier d'écriture de Montélier, sur le thème du journal intime. Jean Botquin a décrit un moment de crise d'un homme qui écrit pour se soulager, alors qu'il quitte sa femme pour rejoindre une italienne, Franscesca, en Toscane.

A une question du présentateur, Jean reconnaît qu'il attache beaucoup d'importance à l'érotisme. Sur ce plan, le livre de Jean Botquin est révélateur. A l'appui, il nous lira l'histoire d'Europe et de Zeus transformé en taureau, transposée dans la Crète d'aujourd'hui.

Mais il y a aussi ce côté candide, cet appétit de vie et d'amour. Cette finesse, cette délicatesse que l'on retrouve dans une autre nouvelle dont il nous lira un extrait, Le tambour d'or, évocation de souvenirs d'enfance.

Et c'est une raison supplémentaire qui lui fait aimer la nouvelle, cette possibilité de passer aisément d'un style à un autre.

mercredi 2 avril 2008

Des nouvelles de poètes

Paul van Melle dans "inédit-nouveau" écrit:

Qu'est-ce qu'une nouvelle ? La critique littéraire s'est cassé les dents sur sa définition. En fait c'est un peu tout ce qu'on veut à condition que se soit vif, clair, complet parce qu'on ne peut pas y ajouter un mot après son point final. Dans la lignée de Maupassant, un maître du genre, Jean Botquin, également poète et romancier, adore raconter. Dès les premiers mots, je suis saisi comme par un Dumas père, ce qui est une référence de plaisir. La nouvelle qui donne son nom à " La gondole de l'Orient Express" ( je ne sais pourquoi) n'est ni la plus longue ni la plus caractéristique du recueil. Je suppose que la beauté de l'illustration de couverture a guidé le choix. Mais on peut dire que chez Botquin tout est bon. Il semble d'ailleurs un des auteurs phares de l'éditeur. J'avoue une tendresse particulière pour le premier texte du volume. "Je m'appelle Europa ", vraie légende mythologique mais aussi confidence de cette femme devenue continent par amour...

dimanche 30 mars 2008

LA TRANSHUMANCE DES BANQUIERS

Voici le livre dont Guy Capelle a parlé dans le message précédent. Publié en 1996 chez Quorum, il a disparu dans la faillite de cette maison d'édition. On le trouve encore chez certains bouquinistes et à la librairie en ligne du Chapître sur le Web. Et chez moi en quelques exemplaires... que j'ai rachetés.

vendredi 28 mars 2008

Sans prétention

Voici quelques réflections de mon ami Guy Capelle qui a lu deux de mes livres, coup sur coup, à son rythme habituel.


Difficile d'écrire mon opinion concernant un ami.
Mais puisque celui-ci me le demande...
Jean Botquin a usé ses fonds de culotte sur les mêmes bancs d' école que
moi. Avec quelques années d'avance : il est né en 1932 , et moi en 1940.
Mais nous avons eu un destin assez ressemblant : nés et élevés en
Flandre, scolarisés en flamand et en français. Nos études ne furent pas
les mêmes, mais notre passion pour la lecture est identique.

Jean Botquin :La transhumance des banquiers - Quorum - 154 p.

Livre d'historien plutôt que de poète, cette histoire vraie raconte le
déménagement des papiers et des valeurs des coffres de la Banque de
Bruxelles à Courtrai vers la France, lors de l'invasion de la Belgique
par les Allemands en mai 1940. Robert Botquin, le père de l' auteur,
est directeur de la succursale de la banque à Courtrai. Ces messieurs du
siège de Bruxelles avaient décidé que les Allemands ne devaient en aucun
cas mettre la main sur les valeurs de la clientèle de la banque. D' où
ce que l'on a appelé le « siège itinérant » en zone non occupée. Plus de 2
millions de Belges se sont enfuis en France à cette époque (pour
d'ailleurs retourner en Belgique après quelques semaines). On imagine le
foutoir.
Bel hommage filial , et bel exemple de conscience professionnelle.
Trouve-t-on encore de tels banquiers ?

Jean Botquin : La gondole de l' Orient Express - Memory press - 207 p
4/5

Dans un tout autre registre, une série de textes publiés ces dernières
années dans diverses revues. Une inspiration débridée, beaucoup de
sensualité, une oeuvre de philanthrope. Jean aime la vie, cela se palpe.
Les amours ne sont pas toujours heureuses, mais la vie est ainsi faite.
J'ai un petit faible pour les soldats de plomb du Tambour d'or, le
magasin de jouets de notre enfance. La Gondole de l' Orient Express
raconte l'histoire émouvante d'un vieux gondolier qui veut finir sa vie
en Belgique auprès de ses enfants mais ne veut pas abandonner sa gon-
dole à Venise. Plusieurs nouvelles présentent un côté surréaliste, du
côté de Magritte plutôt que Delvaux.
Le syndrome de Stendhal : une belle histoire d' amour, un petit peu
autobiographique, m'a confié l'auteur.
Un très bon moment de lecture.

mercredi 26 mars 2008

Le temps des soucis

Les soucis



C’était l’année où les soucis envahirent la ville.

L’apparition de ces fleurs orange dans les endroits les plus inattendus prit rapidement une allure inquiétante.

Au début, on venait de loin pour admirer les parterres éblouissants des parcs publics.

En très peu de temps, les tombes des cimetières croulèrent sous les soucis.

Toute la verdure devint orange. L’herbe disparut.

Le virus du souci atteint les recoins les plus reculés de la ville. Rien ne pouvait empêcher la contagion. La ville était malade.

On ironisait qu’il ne fallait plus se faire de souci car il y en avait partout.

Chaque larme qui tombait sur la terre faisait germer un nouveau souci.

Il en poussait dans les gouttières et même à l’intérieur des maisons.

A peine éclos, on les fauchait, hélas, pour rien car ils repoussaient encore plus denses.

La rue sans-souci ne méritait plus son nom.

On n’osait plus parler de l’insouciance des enfants car eux-mêmes prenaient peur devant la marée jaune.

C’était la crise, l’hépatite des jardins .

Il fallut attendre l’automne – et dans certaines rues l’hiver – pour que les soucis arrêtent leur progression et que cette plaie meure d’une mort orange aux quatre coins de la ville dans d’immenses brasiers.


Jean Botquin



Extrait de « Le front haut ».


jeudi 13 mars 2008

Strelitzia

Juin 2008 à Pramousquier (Photo Marianne)

texte de mon recueil "Elégie pour un kaléidoscope".

STRELITZIA

Oiseau des îles

Long cou d'autruche verte

à la tête en bec

d'orange

qui s'ouvre s'ouvre toujours

et

se déplume à mesure que l'horloge avance

Et chaque fois un nouveau bec

à la langue bleue

aux papilles violettes

comme

un livre qu'on effeuille

sur l'histoire d'Orotava

Bouquet à toi seule

sur une tige d'échassier

Immobile oiseau végétal

au regard de carnassier

dévorant le soleil

Danseur de pierre de lune noire

poussant sa tête dans les nuages

et qui s'envole

au milieu des statues

et des masques

Te voilà prisonnier

d'une cage de verre

où tu déploies les charmes

de ta chair avide

lundi 10 mars 2008

Le front haut

Voici un extrait de "Le front haut", recueil de prose poétique dont on a dit qu'il était une sorte de roman façonné de mille facettes poétiques avec ce côté magique des mots, des images, des sensations qui font rêver le lecteur (Stephen Blanchard- Joutes littéraires de Bourgogne):

Le Rosier

Elle aime les roses et a les pouces verts. Au début, le rosier ne donnait qu'une rose à la fois. Elle l'a taillé, comme il faut, aux bons endroits. Depuis, elles prolifèrent toujours plus nombreuses. C'est un rosier ardent que l'on voit de partout. Il suffit d'ouvrir une fenêtre sur le jardin pour qu'il entre dans la maison. Un jour, il s'est retrouvé au milieu de la table ronde. Il y avait cinquante-cinq roses, toutes plus belles les unes que les autres. Elle leur parlait, elle les appelait par leur nom. " "Mes petites passions feutrées", disait-elle, "mes porteuses de vent","mes regards illuminés", "mes langues de miel". Elle seule pouvait respirer leur odeur sans défaillir. Des pétales fanés, elle distillait l'essence pour en faire un parfum dont elle s'embaumait. Imprègne-toi de l'odeur de mon corps, lui disait-elle, quand il la retrouvait le soir. Je suis le rosier de ton désir. Mon corps est couvert de pétales, mes lèvres sont humectées de rosée. Je suis la première rose des mille et une nuit. Et il recueillait sur ses lèvres la passion du rosier.

Eric Brogniez a écrit, à propos de "Le front haut" :
Le poème en prose, tout en allusions et en trouble, en mystère et en grâce touche son but à chaque fois, dans une écriture plus nouée, plus resserée sur sa part d'ombre; le cheminement
du texte vers son lecteur atteint ici son parfait équilibre, et, si vous me le permettez, il me semble que vous avez donné là votre meilleur ouvrage. (4 mars 1999)

France Bastia dans "Nos Lettres"- A propos de "La gondole de l'Orient Express"

"La gondole de l'Orient-Express, cette belle nouvelle qui fut primée au Concours organisé par l'AEB en 2002 à l'occasion de son centième anniversaire et qui donne son titre au recueil n'est cependant pas celle qui ouvre le nouveau livre de Jean Botquin, mais Je m'appelle Europa, une nouvelle qui, en décembre dernier, concluait en point d'orgue un dossier que la Revue Générale consacrait à l'Europe. Un beau choix pour ce morceau d'ouverture, car Je m'appelle Europa réunit les caractéristiques propres à de nombreux écrits de Jean Botquin; l'imagination, la richesse et la précision du vocabulaire, l'art de mélanger le présent avec le mythe ou la légende et, baignant le tout, une chaude sensualité. Cette dernière dans, parfois, les situations les plus insolites, comme on le constatera, dans, par exemple, Le baiser de la mouche, l'une des sept nouvelles inédites parmi les dix-neuf, d'une inspiration très variée, souvent primées ici ou là, que contient le recueil; qu'il s'agisse de la description du taureau séduisant Pasiphaé sur une plage crétoise ou de l'homme nu caressé par des mouches, c'est avant tout l'ardeur de la vie qui anime et entraine la plume de Jean Botquin."

samedi 8 mars 2008

Association des Ecrivains francophones de Belgique

J'ai été invité à venir parler de "La gondole de l'Orient Express" à l'A.E.B ce mercredi 12 mars après 18 heures. Ne me laissez pas seul. J'ai quelques idées sur l'art de la nouvelle parce que c'est de cela que je vais sans doute devoir improviser. Il y a récit, brève ( texte par définition extrêmement court), nouvelle ( histoire à la trâme relativement simple, sans psychologie profonde, au nombre de personnages limité, récit dense qui mène à la fin d'un suspense dont l'issue devrait toujours être inattendue (la chute). Il y a aussi, aujourd'hui, des récits d'état d'âme baptisés abusivement du nom de nouvelle. On dit la nouvelle nouvelle. Moi, je veux bien.mais il faudrait les désigner autrement.
Des brèves, j'en ai écrit, par exemple, dans le Front Haut, enfin, c'est ce que je pense. Un jour, il faudra que j'en parle. Mais je n'aime pas trop faire de la théorie.
D'ailleurs, je ne suis pas un spécialiste, seulement un poète, un praticien, un homme du terrain verbal qui fait ce qu'il peut, ce qu'il ressent, ce qu'il souffre, ce qu'il rêve
Ah ! Oui. j'oubliais, l'A.E.B. tient ses réunions au musée Camille Lemonnier, Chaussée de Wavre à Bruxelles.

mardi 4 mars 2008

Un carnaval au Vatican

La première de ces trois photos provient d'un de mes albums. J'ai trouvé les deux suivantes sur le blog "Bienvenue chez Clio" (voir un de mes liens) qui les a empruntées à l'Agence Belga. Elles sont magnifiques et datent du carnaval de Binche 2008. Mes amis de Binche ne m'en voudront pas si leurs gilles illustrent une aventure qui ne pouvait leur arriver. Ils ne se déplacent pas même pas à Rome. Ce sont des Gilles de la Cité des loups qui ont fait le déplacement. Vous ne me croyez pas? Vous pensez que j'invente ? Que j'ai rêvé comme d'habitude. Pourtant toutes les fictions finissent par se réaliser. On a bien vu d'authentiques gondoles de Venise sur le canal du Centre, en face de la cantine des Italiens, alors...Lisez la belle histoire de ces italiens de chez nous, "Les Virgile".

Voici un tout petit extrait pour vous mettre l'eau à la bouche:

Nous sommes piazza del Popolo, la place du Peuplier où se dresse aujourd'hui l'obélisque d'Héliopolis. Le jour s'est assombri. On arrive à la fin de ce mini-canaval della Lupa. Les collines du Pincio regorgent de monde venu assister au brûlage des bosses.Les Gilles partent pour un dernier rondeau autour d'un gibet où un mannequain-gille est suspendu. Sous lui, quelques ballots de paille attendent l'exécution symbolique...

Le reste, dans votre "La gondole de l'Orient Express"...











mercredi 20 février 2008

Droits de l'homme, j'écris vos noms


Une fois de plus, Hervé Broquet réunit des auteurs francophones belges autour de lui pour éclairer, chacun à sa manière, un thême humaniste important. Aujourd'hui il s'agit des Droits de l'homme dont on fête l'anniversaire de sa déclaration prononcée, il y a soixante ans.

Il écrit en quatrième de couverture:
"Combat au quotidien, contre les cris des êtres plongés dans la tourmente ou contre la chape de plomb qui emmure des populations entières. Des enfants, des femmes, des politiques, des syndicalistes sont chaque jour victimes de violations de ces droits. Il suffit de lire les rapports internationaux pour en être conscients et mesurer qu'il suffit parfois de porter son regard sur un proche horizon, au coeur même de notre pays, afin de mettre au jour des pratiques qui, tout en étant moins graves, n'en sont pas moins condamnables.

Ce livre relit les articles de la déclaration, présentés dans leur intégralité, par le truchement intimiste d'écrivains francophones. Cette approche pédagogique devrait ainsi permettre à chacun de redécouvrir ce texte fondamental, de se l'approprier et de le faire vivre au sein d'un noyau commun de valeurs qui a pour nom Liberté, Egalité et Fraternité. "

Ont contribué à l'écriture de cet ouvrage:
Barbara Abel, Nicolas Ancion, Luc Baba, Isabelle Bary, Jean Botquin, Hervé Broquet, Eric Clémens, Bruno Coppens, Serge Federico, Nikita Gilles, Kenan Görgün, Thomas Gunzig, Françoise Houdart, Maureen Jamar, Eva Kavian, Aurelia Jane Lee, Pauline Legrand, Yun Sun Limet, Cathy Marchand-Van den Daële, Marine Massart, Lola Motte ,Françoise Pirart, Grégoire Polet, Stéphanie Reynders, Daniel Simon, Michel Torrekens, Régine Vandamme, Jean-Pierre Verheggen, Michel Voiturier, Evelyne Wilwerth.

lundi 18 février 2008

Déclaration des Droits de l'Homme - Article 8


A mon père,
et à tous ceux qui, en Belgique,
ont fait de la détention préventive
inutile et injustifiée
sans en être dédommagés
par l’Etat.

Charte des droits de l'homme - Art.8



Toute personne a droit à un recours
effectif devant les juridictions nationales
compétentes contre les actes violant les
droits fondamentaux qui lui sont reconnus
par la constitution ou par la loi.

L’affaire M. /Banque X.

Quand mon père est mort, début 1971, maman m’a demandé d’assister à la mise en bière. Pendant le travail, elle pleurait doucement dans la pièce à côté.
Mes parents formaient un bon couple, fidèle à toute épreuve. Je les vois encore sur la banquette arrière de leur Opel Kapitan que je conduisais pendant les vacances familiales sur les routes de France, en alternance avec mon frère. Ils se donnaient la main. Ils avaient été très amoureux, il en restait quelque chose, bien plus, sans doute, qu’il n’y paraissait à première vue.
L’homme qui soudait le cercueil pleurait aussi. C’était plus fort que lui, à chaque ensevelissement ses larmes coulaient. Après il sortait sa petite gourde de métal et buvait un coup.
Au téléphone, maman avait dit que papa avait eu une nouvelle hémorragie cérébrale, cette fois-ci sans pardon. J’entends encore sa voix qui s’étranglait pour me souffler: « Non, ce fut foudroyant, il n’a pas souffert. »
Depuis un certain temps, il n’avait plus toute sa tête. Il fallait le chercher parfois à plusieurs km de la maison, égaré, ne trouvant plus son chemin. Maman l’aidait à s’habiller pour qu’il ne mette ses vêtements tout de travers. Pour moi, ce n’était pas l’Alzheimer ni de la démence précoce, mais quelque chose d’indéfinissable, de sournois, la conséquence éloignée de ce que la Justice lui avait fait subir.
Beaucoup plus tard, maman m’avait confié gênée: « Après sa sortie de prison, il ne m’a jamais plus visitée, tu comprends ce que je veux dire... » J’ai compris, moi, combien l’injustice l’avait diminué.

L’église était comble. La famille, des clients, le personnel de la succursale qu’il avait dirigée, le Président de la banque à Bruxelles, des relations, quelques rotariens qui se souvenaient encore de lui. Monsieur le Président, celui de la Banque à Bruxelles, était venu faire une visite de condoléances à maman. Il n’a pas voulu saluer le corps pour ne pas abîmer le souvenir qu’il avait de papa, qu’il a dit. Il avait ajouté: un grand banquier, compétent, organisateur, travailleur, sept jour sur sept. Un homme extraordinaire. Pourtant, papa était un mort particulièrement beau, il n’aurait pas trahi le souvenir du Président. Quand j’ai ouvert la porte pour le laisser passer dans le hall, je me suis souvenu qu’il avait envoyé du foie gras à papa en prison. Cette fois-là, il n’avait pas non plus voulu le voir. Sans doute craignait-il déjà de ne pas le reconnaître. Peut-être n’aurait-il pas supporté la souffrance d’un homme injustement accusé ? Il fallait être prudent et s’imposer le silence si l’on ne voulait pas être soi-même inquiété, c’est ce que j’ai essayé de comprendre. Car toute la hiérarchie supérieure que papa désignait toujours sous le vocable de H(h)aute D(d)irection, tremblait d’être mise, à son tour, sur la sellette. Qu’avait-il fait de répréhensible, le banquier de province, qu’on avait arrêté, un beau matin, comme le Josef K. du procès de Kafka ?

J’ai appris son arrestation par la bouche de l’administrateur délégué qui m’a dit sans ménagement : « Si ce que l’on raconte de votre père est vrai, ce sera la plus grosse désillusion de ma vie. Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment. J’attend d’être mieux informé. »

Quand mon père a été emmené, menottes aux poignets, il était retraité depuis deux ans, après une carrière de 51 ans, de bons et loyaux services, comme on dit. Il avait commencé, en qualité de garçon de course, à 14 ans. Le soir, il suivait des cours de comptabilité. A 35 ans il accédait au poste de directeur.
Au moment des évènements dont je parle, moi, je venais de terminer mon stage dans la même banque, à Bruxelles. Je commençais à comprendre le métier de mon père. Est-ce que je serais capable de me dévouer pour la clientèle comme il l’avait fait ? Il exagérait un peu. Fallait-il se dévouer de pareille façon ? L’homme riche mérite-t-il plus d’estime et de soins que le petit épargnant ? En tout cas, quand j’ai vu le détail de ce qu’il nous laissa en héritage, j’ai été déçu. Toute une vie de labeur pour si peu de chose! A l’époque les dirigeants de banque étaient vraisemblablement moins bien payés qu’aujourd’hui. En outre, les années de guerre avaient écorné leurs économies. Mon père n’était pas dépensier. Il n’avait pas besoin, non plus, de dessous-de-table pour construire sa jolie maison, à la fin de sa carrière, une maison confortable sans plus car mon père était un homme simple. J’ai retrouvé dans un petit carnet le montant modique de son investissement et les ressources financières qu’il y avait affectées (la réalisation d’un petit portefeuille de titres). Contrairement à la conviction de la justice, papa était un homme foncièrement honnête. Un franc était un franc. Il ne devait rien à personne.

Comment peut-on accorder crédit aux déclarations mensongères d’un trafiquant (en laines) qui cherche à entraîner son banquier dans sa chute (j’obtenais tout parce que je lui graissais la patte...) sinon parce qu’on est borné et envieux des signes extérieurs de richesse des banquiers ? Donc banale histoire de pots-de-vin totalement incrédible.
Il faut savoir que l’analyse et le contrôle des crédits sont très structurés, que l’étalement des pouvoirs de décision entre différentes instances réduit considérablement l’influence éventuelle des clients sur les décideurs. Les analystes qui n’ont pas de contact avec la clientèle sont là pour tempérer les enthousiasmes éventuels des hommes de terrain. On ne leur fait pas prendre des vessies pour des lanternes. Ce sont des contrepoids salutaires.

Le petit juge d’instruction a cru que c’était arrivé. Il ne lâcherait pas sa proie. Un banquier à croquer tout cru, quelle aubaine. Le procès de sa carrière! L’avancement!
Le trafiquant qui avait reçu des crédits que le magistrat jugeait démesurés, le trafiquant qui trafiquait ses comptes, truquait ses gages marchandises, obtenait des financements sur de fausses opérations d’exportation (toutes choses qu’on ne découvrit qu’après) n’était que menu fretin à côté de l’immonde banquier, l’incarnation du capitalisme qui pourrit le monde. Les juges locaux se faisaient aider par des experts de la police financière pour comprendre les mécanismes de crédit et détricoter le trafic commercial du fabricant de laine. La police constata que les comptes de ce client aventureux étaient régulièrement soumis à des contrôles d’experts de la banque. Ce pouvait-il que ce client fut plus fort que son banquier qu’il aurait berné jusqu’à la fin? Si je vous en parle ainsi, c’est que j’ai consulté les paquets de dossiers que maman m’a remis après la mort de papa, et que j’ai examinés comme un auditeur interne, mon métier de fin de carrière. Je n’ai retenu qu’une seule erreur de papa: connaissant le client comme il le connaissait, le genre de vie qu’il menait (une vie dissolue et de fête- le champagne coulant à flot-les femmes...), il aurait du le mettre à la porte de la banque quand il était encore temps. Sans confiance, pas de crédit. Mais le banquier, même quand son éthique est irréprochable, considère parfois que l’argent n’a pas d’odeur. Cependant, Dieu sait si la laine de mouton sent mauvais. De plus est-ce que les banques feraient beaucoup de crédits si elles se préoccupaient chaque fois de la vie privée de leurs clients ? Et ce client aux moeurs douteuses était apparemment un homme avisé qui plaidait bien ses demandes d’augmentation de crédit dont il avait besoin pour financer son chiffre d’affaires en expansion.
Le banquier n’est pas infaillible, pas plus que cette magistrature de province qui longtemps se laissa emberlificoter par les explications de celui qui se présentait comme la victime de ses financiers. La presse judiciaire qui suivait les audiences fit la part belle à tous les ragots qui circulaient en ville. On lisait que papa, sous ses dehors vertueux, trompait ma mère avec la tenancière d’un bar. Qui s’assemble se ressemble. Selon cette presse, mon père ne valait pas mieux que l’escroc qu’il croisait dans les promenades à l’intérieur de la prison et à côté de qui, parfois, il était assis, menottes aux poings comme lui, dans le fourgon cellulaire. Personne ne nous fera croire que les enquêteurs restent insensibles au déchaînement éhonté des journalistes qui sont comme meute de chiens au moment de l’hallali.

Maman se montra digne en toutes circonstances. Je ne la vis jamais pleurer. Elle refusais de lire les journaux. Elle était convaincue de la rectitude de son mari mais en voulait à cette banque qui restait muette. Sans doute, cette banque pensait-elle que les erreurs de gestion, s’il en avait été commises, l’avait été en bas plutôt qu’en haut. Réaction classique. Elle craignait que l’arrestation de mon père débouche sur un gros procès en responsabilité du banquier qui augmenterait sensiblement les pertes du dossier litigieux. Il fallait vraiment se tenir coi. Moi-même, je fus orienté vers une fonction d’intérieur sans relation aucune avec la clientèle et cela pendant plusieurs années.
Mon père fut traité comme un truand, maintenu sous les verrous tant que l’instruction n’avait pas écarté le moindre soupçon d’une quelconque complicité. Le tribunal a prolongé la détention préventive pendant quatre mois comme si la mise en liberté de papa pouvait gêner les progrès de l’instruction financière. La lenteur des examens résultait de la complexité de l’Affaire M. comme les journaux le titraient désormais dans leurs colonnes. Les journalistes racontaient n’importe quoi, comme d’habitude. Ils ne comprenaient pas grand chose au fonctionnement du monde financier. La presse à sensation continuait à détruire l’image de mon père de façon scandaleuse. La bêtise du juge d’instruction le rendait intraitable comme un âne buté. Il ne voulait pas en démordre. L’avocat de mon père n’était pas un ténor. Il n’invoquait que des raisons humanitaires pour obtenir sa liberté. Papa avait soixante sept ans. Maintenir un homme de son âge en prison pour des faits dont rien ne prouvait qu’il fut seul, directement ou indirectement, responsable portait atteinte, selon moi, à la Convention universelle des Droits de l’Homme.
La détention préventive n’est pas une procédure de confort pour des juges incapables de se faire une opinion sur des allégations mensongères et diffamatoires. Au-delà d’une certaine durée, on verse dans l’arbitraire et la cruauté. La remise en liberté, dans le cas de mon père, ne pouvait troubler l’ordre public ni créer une quelconque insécurité pour les citoyens de la ville. Pour quelle raison se serait-il soustrait aux investigations de la justice alors qu’il n’était coupable que d’avoir fait confiance à un industriel qui ne le méritait pas ?
Quand après des mois l’Affaire M. fut enfin jugée, on assista à la condamnation de M. à 7 ans de prison seulement. Papa bénéficia d’un non lieu. Mais le mal était fait. Le vieil homme était détruit, il entra dans une tristesse profonde jusqu’à sa mort. Je ne le vis plus jamais sourire.

Après avoir purgé sa peine, M. partit en Argentine où il recommença son trafic. Bien mal lui en prit. Il se fit descendre par un truand de meilleure envergure que lui. Je ne me souviens plus si mon père vivait encore au moment de ce dénouement.

Je ne suis pas heureux de cette issue. Je m’en veux de ne pas avoir mieux défendu la mémoire de mon père. Quand la Loi du 13 mars 1973, instituant, enfin, un recours devant le ministère de la Justice, en réparation des dommages résultant des abus éventuels de la magistrature, assise et debout, en matière de détention préventive, papa était décédé depuis deux ans. En ma qualité d’héritier, j’aurais été en droit d’exercer ce recours, à sa place. Maman a continué à vivre jusqu’en 1996, avec le souvenir d’un mari prisonnier, diminué et souffrant. Pardon maman, je t’aurais peut-être aidée à alléger les séquelles d’une injustice dont tu as beaucoup souffert. Mais j’ignorais l’existence de cette nouvelle loi et les juristes qui auraient pu m’en informer m’ont laissé dans cette ignorance parce que je n’ai plus pensé à les consulter et qu’ils avaient oublié que papa avait existé.

Si je n’ai pas démissionné après l’arrestation de papa, c’est parce que je suis né dans cette banque qui avait, en ce temps-là, encore figure humaine. Cela n’aurait d’ailleurs pas rendu service à mon père. Après la fin du procès, ma carrière a repris une vitesse de croisière honorable, soutenue, je pense, - en dehors du fait que j’avais aussi mon ambition personnelle -, par le désir de mon employeur de réparer les torts que l’Affaire M. avait causé à ma famille. Dans les entreprises actuelles, issues de rachats et de fusions, la reconnaissance pour services rendus est un sentiment obsolète, les états d’âme n’ont plus cours. . C’est le rapport cours-bénéfice de l’action qui décide. Les employés et les cadres ne sont plus que des numéros. A partir d’un certain âge même ceux qui ont du mérite et de la compétence à revendre n’avancent plus. Ils coûtent trop chers. Je suis content d’avoir pris ma retraite.

Et, si c’était à recommencer, je pense que j’aurais été avocat plûtot que de faire comme papa dans la banque de papa. Je me serais spécialisé dans la défense des Droits de l’Homme. Rien ne m’aurait arrêté dans la poursuite de ceux qui instruisirent l’Affaire M. d’une façon abusive au mépris d’inculpés innocents. Car la liberté est un bien sacré dont on ne peut être privé à la légère. Les conséquences sociales, psychologiques et physiques pour les victimes d’abus de pouvoir discrétionnaire sont irréparables.






La loi du 13 mars 1973 fut modifiée par celle du 4 juillet 2001, en vue d’améliorer les décisions et de combler certaines lacunes antérieures. Il reste que, en pratique, le lien de cause à effet entre le dommage subi et les faits incriminés n’est pas facile à démontrer.

mercredi 13 février 2008

Foire du Livre de Bruxelles 2008

J'attends tous mes amis à la Foire du Livre de Bruxelles le jeudi 6 mars entre 10 et 12 heures au stand 242 du Service du Livre Luxembourgeois, à ma séance de dédicaces. Mon principal éditeur est installé au Luxembourg belge. C'est la raison pour laquelle ce service nous héberge, mes livres et moi. Vous trouverez plus d'informations sur mon Editeur Memory Press et ledit Service dans les liens de mon blog.

Je pourrai bientôt vous en dire plus sur une autre publication, un ouvrage collectif dans la collection "J'écris ton nom..." des Editionc Couleurs Livres, qui sort à l'occasion des soixante ans de la Déclaration des Droits de l'Homme. Il sera en vente au stand de cette maison d'Edition, s'il sort à temps. J'avais des choses à écrire sur certains Droits de l'Homme en Belgique, que notre pays ne respecte pas. Alors j'ai pris une place dans ce livre, à côté d'autres auteurs. Je reviendrai sur ce sujet dans quelques jours...

samedi 9 février 2008

Le baiser de la mouche

La première de ces deux musca domestica m'a été prêtée par Yvo, le webmaster du site ypix.org que j'ai placé dans mes liens pour que vous puissiez lui rendre visite et découvrir sa merveilleuse galerie de photos. La deuxième mouche appartient à la même famille de diptères. Son photographe est Yvon Delbecque que vous pouvez atteindre sur yvon.delbecque@picardimage.com ou le site de picardimage qui en vaut la peine surtout si vous aimez la baie de Somme, ses phoques et ses oiseaux.

Mille merci à tous deux!

Tout le monde aura deviné que la mouche domestique est un personnage d'une de mes nouvelles, plus précisément de la onzième. Je m'en voudrais d'en divulger l'énigme la veille de la sortie de mon recueil. Patience donc...vous ne perdez rien à attendre, au contraire. C'est paraît-il un récit léger comme la mouche peut l'être quand on l'invite au sein de notre vie parfois bien solitaire. Allons, un petit avant-goût quand-même...


L'été était largement entamé. Le beau temps chaud et insupportable souvent s'interrompait par un orage bref et terrible. Puis l'été reprenait après un ou deux jours de brume ou de pluie incertaine.

La chaleur ramenerait les mouches.

Il les attendait, exerçait son ouie à reconnaître le premier vrombissement lui annonçant leur retour dans le vide de la maison dont il aurait ouvert l'une ou l'autre fenêtre, toujours avec le désir d'y voir s'introduire une mouche, même petite'et qui irait se perdre dans le voile d'un rideau. Une de plus qui rejoindrait celles restées d'avant l'orage, oubliées dans la température tiède de la maison, alors que le temps dehors avait fraîchi. Rien ne valait la chaleur étouffante qui écrasait les murs blancs. Les mouches jouaient dans la lumière, étincelaient de leurs ailes, écrivaient des cercles bleus qui faisaient vibrer l'air. Elles le reconnaissaient après l'avoir frolé, rapidement, puis avec plus d'insistance. Elles reniflaient son odeur, son odeur acide quand il avait transpiré au soleil...

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